Une étude révèle l'impact significatif de la nouvelle réglementation sur les habitudes de consommation des Tunisiens
Un mois après l'entrée en vigueur de la réforme encadrant l'usage des chèques le 2 février 2025, l'Institut Arabe des Chefs d'Entreprises (IACE) dresse un premier bilan de son impact sur les comportements des consommateurs tunisiens. L'étude, menée auprès de 1100 utilisateurs réguliers de chèques avec un échantillon représentatif en termes de genre, d'âge (principalement 30-50 ans) et de revenus (majoritairement entre 1000 et 3000 DT), révèle une transformation rapide mais inégale des pratiques de paiement.
L'enquête met en évidence un retour massif aux espèces, qui dominent désormais les transactions avec 47% des paiements. Les virements bancaires et les lettres de change se partagent la deuxième place (16% chacun), tandis que les cartes bancaires représentent 14% des transactions.
Fait notable : le "nouveau chèque" ne séduit que 7% des utilisateurs, témoignant d'une adoption timide du dispositif réformé. Cette faible adhésion souligne, selon l'IACE, "le besoin d'accompagnement pédagogique et de simplification des procédures".
L'étude révèle qu'avant la réforme, 72% des chèques étaient utilisés de manière détournée : paiement différé ou en garantie, plutôt que comme moyen de paiement à vue selon la loi. Cette pratique touchait toutes les catégories sociales, y compris les ménages aisés disposant de revenus supérieurs à 5000 dinars.
"Un tiers des consommateurs tunisiens considéraient le chèque exclusivement comme un moyen de paiement différé", précise l'analyse, soulignant l'écart entre la norme juridique et les usages sociaux.
L'impact de la réforme se révèle particulièrement sévère pour les classes moyennes. Selon l'enquête, 88% des consommateurs aux revenus compris entre 1000 et 3000 dinars ont renoncé à un achat depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, révélant leur forte dépendance au chèque comme moyen de paiement différé.
Au total, 29% des répondants déclarent avoir renoncé ou reporté un achat prévu, et parmi eux, 78% estiment que la dépense annulée ou reportée dépasse 1500 dinars. Ces chiffres témoignent d'un impact économique substantiel, touchant des biens essentiels plutôt que des achats de convenance.
Près de la moitié des répondants (47%) déclarent avoir rencontré des difficultés pour effectuer certains paiements depuis la réforme. Seuls 27% affirment n'avoir jamais rencontré de problèmes, illustrant les défis d'adaptation à ce nouveau cadre réglementaire.
L'étude corrèle ces changements comportementaux avec l'évolution récente de l'inflation. Les statistiques de l'Institut National de la Statistique (INS) confirment une baisse du taux d'inflation de 5,9% en mars à 5,6% en avril 2025, particulièrement marquée dans les secteurs sensibles au paiement par chèque.
Les articles d'habillement et chaussures enregistrent une baisse de 20% de leur taux d'inflation, les accessoires d'habillement chutent de 31%, et les meubles connaissent également un ralentissement. Cette tendance désinflationniste reflète directement l'impact de la réforme sur la demande des ménages.
Interrogés sur leurs préférences futures, 58% des répondants expriment une appétence pour les paiements par téléphone mobile, confirmant une tendance vers la dématérialisation. La carte à débit différé séduit 34% des sondés, perçue comme un compromis entre maîtrise budgétaire et souplesse de paiement.
Seuls 2% souhaitent un retour à l'ancien système de chèques.
Face à ces constats, l'IACE préconise plusieurs mesures d'accompagnement :
- Un renforcement de l'inclusion numérique
- Des campagnes pédagogiques ciblées
- La mise en place de dispositifs transitoires adaptés
- Un suivi continu de l'évolution des usages
L'institut suggère également de s'inspirer des standards internationaux, citant l'exemple de l'Union européenne qui a rendu obligatoire l'accès au virement immédiat au même coût que les virements standards.
Cette réforme marque un tournant dans la politique nationale des moyens de paiement en Tunisie. Si elle contribue effectivement à réduire les pressions inflationnistes liées à la consommation à crédit artificielle, elle nécessite un accompagnement attentif pour éviter l'exclusion financière de certaines catégories de la population.
L'IACE annonce la poursuite de son évaluation avec de nouvelles enquêtes prévues à six mois et douze mois après la mise en œuvre, permettant un suivi à moyen terme de cette transformation majeure du paysage financier tunisien.