Ce qui devait être un jour de libération s'est rapidement métamorphosé en jour de « libation » pour les économistes et analystes financiers contraints de prendre Donald Trump tant au sérieux qu'au pied de la lettre. Le taux moyen des droits de douane a bondi à 22%, contre seulement 2,5% l'année précédente, atteignant ainsi son plus haut niveau depuis 1910.
Selon le plan présidentiel américain, des droits de douane de base de 10% seront appliqués sur toutes les importations mondiales, à l'exception de celles en provenance du Canada et du Mexique. Les pays présentant des déficits commerciaux plus importants avec les États-Unis se voient imposer des taux nettement plus élevés.
La formule de calcul, publiée par le représentant américain au commerce (USTR), utilise le déficit commercial américain en biens avec chaque partenaire comme indicateur des pratiques commerciales prétendument déloyales. Ce déficit est ensuite divisé par le volume total des marchandises importées aux États-Unis depuis ce pays.
Pour illustrer cette méthodologie, prenons l'exemple de la Chine, principal rival commercial des États-Unis. Le déficit commercial américain avec la Chine a atteint 291,9 milliards de dollars l'année dernière. En divisant ce montant par les 433,8 milliards de dollars d'importations chinoises, on obtient 67%. Ce pourcentage est ensuite divisé par deux, ce qui donne les 34% de droits de douane désormais imposés par les États-Unis sur les produits chinois.
La méthodologie adoptée par l'USTR présente des défauts économiques fondamentaux et n'atteindra probablement pas son objectif déclaré de « réduire à zéro les déficits commerciaux bilatéraux ».
Les balances commerciales sont déterminées par une multitude de facteurs économiques, dont certains révèlent déjà les failles de cette stratégie :
Les calculs de l'USTR semblent ignorer les promesses antérieures de l'administration selon lesquelles elle baserait ses tarifs réciproques sur des évaluations approfondies des relations commerciales bilatérales, incluant taxes, réglementations et autres obstacles non tarifaires aux échanges.
Comme l'a souligné Oleksandr Shepotylo, éminent économètre de l'Université d'Aston : « Cette formule génère un niveau de droits de douane censé réduire le déficit commercial bilatéral à zéro. C'est un objectif absurde. Aucun principe économique ne justifie d'avoir un commerce parfaitement équilibré avec tous les pays. »
L'impact réel de ces droits de douane ne sera pas l'élimination des déficits commerciaux, mais plutôt l'aggravation des difficultés tant pour les pays les plus vulnérables économiquement que pour les consommateurs américains.
Ces nouvelles barrières tarifaires représentent une menace sérieuse pour une économie américaine déjà en perte de vitesse. La combinaison d'un droit de référence de 10% et de droits complémentaires à deux chiffres sur les principaux partenaires entraînera une hausse des prix sur un large éventail d'importations, freinera les investissements des entreprises et accentuera le risque d'une inflation persistante accompagnée d'une croissance anémique.
Avec une inflation déjà supérieure à l'objectif de 2% fixé par la Réserve fédérale, la banque centrale américaine se trouve face à un défi de taille : contenir la hausse des prix alors même que les anticipations inflationnistes s'intensifient. La Fed doit par ailleurs répondre aux pressions l'incitant à atténuer le ralentissement de la croissance provoqué par l'escalade des tensions commerciales.
La confiance des entreprises souffre déjà de l'instabilité des politiques commerciales du président Trump, et cette incertitude continuera de peser sur les investissements dans un contexte marqué par des négociations prolongées avec les partenaires américains.
Le marché boursier américain a violemment rejeté les propositions tarifaires présidentielles. Au lendemain de leur annonce, le S&P 500 a plongé de 5%, enregistrant sa pire séance depuis 2020, et cette tendance baissière se poursuit.
Toutefois, l'évaluation actuelle des actions suggère qu'il serait prématuré d'évoquer une récession imminente en Europe et aux États-Unis. Les marchés actions avaient déjà intégré certains risques liés aux droits de douane, les principaux indices ayant atteint des sommets historiques et connu d'importantes rotations sectorielles.
La baisse de 8% du S&P 500 traduit une anticipation partielle de récession (environ 25%), tandis que l'indice européen SX5E, toujours en hausse de 8% depuis le début de l'année, pourrait connaître un ajustement plus marqué si la récession se matérialise. Cette disparité s'explique notamment par un positionnement tactique plus élevé des hedge funds et CTA sur l'Europe que sur les États-Unis, bien que le positionnement des investisseurs traditionnels et particuliers soit nettement plus concentré sur le marché américain. Historiquement, lors des récessions, les actions chutent généralement d'environ 35% de leur sommet à leur point bas, un niveau que nous n'avons pas encore atteint. Des turbulences supplémentaires pourraient contraindre le président Trump à réviser sa position.
Quant au marché obligataire, Scott Bessent, secrétaire au Trésor américain, a clairement indiqué lors d'une interview que les rendements obligataires, plutôt que les cours des actions, constituaient les indicateurs clés des marchés financiers. Ainsi, bien que les actions américaines aient chuté, les prix des obligations ont augmenté, entraînant une baisse des rendements.
Comment expliquer la vigueur des obligations d'État américaines dans ce contexte ? La baisse des taux s'est accompagnée d'un phénomène habituellement redouté par les administrations mais favorablement accueilli par les marchés obligataires : l'effondrement des indicateurs économiques avancés (confiance des consommateurs, indices PMI, etc.).
En effet, les indicateurs économiques défavorables préfigurent généralement des baisses des taux d'intérêt à court terme, ce qui valorise les obligations existantes à rendement plus élevé. Les investisseurs parient qu'une économie affaiblie prendra le pas sur les préoccupations inflationnistes dans les arbitrages de la Réserve fédérale concernant sa politique de taux.
Compte tenu de la prédominance du dollar dans les échanges commerciaux mondiaux, les obligations du Trésor américain occupent une place stratégique, non seulement dans l'architecture financière internationale, mais également dans les bilans des gouvernements et des entreprises du monde entier. Cette position privilégiée garantit que, en cas de ralentissement prononcé de l'économie américaine, la Fed pourra réduire ses taux directeurs tandis que le gouvernement compensera le déficit budgétaire par l'émission d'obligations supplémentaires.