Notation souveraine de la Tunisie : les arguments de Mohsen Hassan pour une révision à la hausse

Analyse macro économique
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mannana dbibi mai 19, 2025, 1:44 PM

L’ancien ministre du Commerce, Mohsen Hassan, a récemment partagé son analyse de la situation économique tunisienne lors d'un entretien accordé à l'Agence Tunis Afrique Presse (TAP). S'appuyant sur les dernières données de l'Institut National de la Statistique (INS) et les rapports de la Banque Mondiale, il dresse un portrait nuancé d'une économie nationale qui fait preuve de résilience mais peine à accélérer.

Selon les chiffres de l'INS, le Produit Intérieur Brut tunisien a enregistré une croissance de 1,6% au premier trimestre 2025, en comparaison avec la même période de l'année précédente. Cette performance, bien que positive, reste faible et marque, selon Mohsen Hassan, la continuité d'un rythme de croissance modeste, oscillant entre 1% et 2% par an, observé depuis 2010.

L'ancien ministre a également confronté ces données aux prévisions des institutions internationales. La Banque Mondiale anticipe une croissance de 1,9% pour l'ensemble de l'année 2025, tandis que le Fonds Monétaire International (FMI) est plus prudent avec une projection de 1,4%. Ces chiffres contrastent nettement avec l'hypothèse de 3,2% retenue par le gouvernement tunisien dans le projet de loi de finances 2025.

Trois secteurs moteurs de la reprise

"La croissance enregistrée au premier trimestre s'appuie principalement sur trois secteurs fondamentaux", affirme Mohsen Hassan. "L'agriculture a connu une performance remarquable avec une augmentation de 7% de sa valeur ajoutée, contribuant pour 0,59 point à la croissance globale. Cette évolution favorable est notamment due aux conditions pluviométriques exceptionnelles qui ont considérablement amélioré le remplissage des barrages." L'ancien ministre souligne également que "le secteur du BTP a enfin renoué avec une croissance positive de 3,3% après plusieurs années de contraction, ce qui constitue un signal particulièrement encourageant pour ce secteur stratégique de notre économie." Quant au tourisme, Hassan observe qu'il "confirme sa dynamique positive avec une croissance de 7% et une contribution de 0,66 point à la croissance nationale. Après avoir accueilli 10,2 millions de visiteurs en 2024, le secteur est en bonne voie pour atteindre l'objectif de 11 millions en 2025." En revanche, l'ancien ministre du Commerce déplore que "la contribution du secteur industriel demeure marginale", un constat qu'il juge préoccupant pour l'équilibre économique du pays.

Les freins à une croissance plus vigoureuse

Mohsen Hassan identifie quatre facteurs structurels majeurs expliquant cette croissance en demi-teinte observée depuis quinze ans. "Notre économie a dû faire face à une succession de chocs externes particulièrement déstabilisants, de la révolution aux attentats terroristes, en passant par la pandémie de COVID-19, le conflit russo-ukrainien et la montée du protectionnisme mondial", explique-t-il. L'ancien ministre pointe également "une dépendance excessive au marché européen, qui absorbe à lui seul 74% de nos exportations, nous rendant particulièrement vulnérables aux fluctuations économiques de cette région". Il déplore par ailleurs "l'absence de réformes économiques profondes et la détérioration progressive du climat des affaires qui ont considérablement freiné le potentiel de développement du pays". Enfin, Hassan souligne que "la faiblesse structurelle de notre commerce extérieur et le manque de diversification de notre offre exportable constituent un handicap majeur que nous devons impérativement surmonter pour accélérer notre croissance".

Un potentiel inexploité : cap sur l'investissement

"La Tunisie dispose indéniablement des atouts nécessaires pour atteindre des taux de croissance supérieurs à 5%", affirme avec conviction Mohsen Hassan. L'économiste identifie l'investissement comme le levier principal à activer, jugeant que "les taux actuels, de l'ordre de 12-13% du PIB pour l'investissement et 5% seulement pour l'épargne nationale, sont nettement insuffisants pour impulser une véritable dynamique de croissance". Pour remédier à cette situation, l'ancien ministre préconise une approche systémique. "Nous devons impérativement adopter une loi-cadre qui unifierait toutes les structures d'appui à l'investissement sous une entité unique rattachée directement à la Présidence du Gouvernement", recommande-t-il. Hassan insiste également sur la nécessité de "moderniser nos infrastructures, qu'il s'agisse des communications, des zones industrielles ou du réseau routier, qui constituent le socle matériel indispensable à tout développement économique". La réforme du système éducatif figure aussi parmi ses priorités : "Il est crucial d'aligner nos formations aux besoins réels du secteur privé pour garantir une adéquation optimale entre l'offre et la demande de compétences". L'optimisation de la chaîne logistique représente un autre axe majeur selon l'ancien ministre, qui souligne "l'urgence d'améliorer l'efficience de nos infrastructures portuaires et aéroportuaires". Enfin, il appelle à "une refonte profonde du système bancaire afin qu'il soutienne plus efficacement le financement des projets innovants et créateurs de valeur". Malgré l'ampleur des défis, Hassan se veut optimiste, rappelant que "la Tunisie dispose d'atouts indéniables, notamment un capital humain hautement qualifié et un cadre législatif favorable avec ses principaux partenaires économiques, que ce soit l'Union Européenne, l'Afrique ou le monde arabe".

Réserves de change : une situation temporairement tendue

Interrogé sur l'état des réserves de change, actuellement à 99 jours d'importation, Mohsen Hassan se montre rassurant. "Cette diminution s'explique principalement par notre engagement à honorer scrupuleusement nos obligations financières internationales", précise-t-il. L'ancien ministre détaille que "le service de la dette extérieure s'élève à 8,469 milliards de dinars pour l'année en cours, dont plus de 50% ont déjà été réglés". Il mentionne également "le remboursement d'un euro-bond en janvier 2025 et les importations stratégiques de produits essentiels comme les céréales, le sucre et le café" comme facteurs explicatifs de cette situation. Hassan se montre résolument confiant quant à l'avenir proche : "Nous anticipons un rebond significatif des réserves au-delà des 100 jours d'importation dans les prochains mois", affirme-t-il. Cette amélioration attendue sera portée, selon lui, par "une saison touristique qui s'annonce exceptionnelle, les premiers signes encourageants de reprise de nos exportations, la dynamique positive des investissements étrangers directs et la solidité remarquable des transferts effectués par nos compatriotes résidant à l'étranger". L'ancien ministre estime que "cette amélioration prévisible, conjuguée à notre respect scrupuleux des engagements externes, devrait logiquement inciter les agences de notation à reconsidérer favorablement l'évaluation souveraine de notre pays".

Le déficit commercial : un déséquilibre structurel préoccupant

L'analyse des statistiques d'avril 2025 concernant le commerce extérieur préoccupe vivement l'ancien ministre. "Nous faisons face à une situation que je qualifierais d'alarmante", déclare Hassan en commentant la détérioration de la balance commerciale. "Avec des exportations en recul de 2,4% et des importations qui progressent de 7,8%, notre déficit s'est considérablement creusé pour atteindre 7,3 milliards de dinars, contre 4,7 milliards à la même période l'année précédente", détaille-t-il. Cette évolution a entraîné une baisse du taux de couverture à seulement 74%. Mohsen Hassan nuance toutefois son propos en soulignant que "certaines industries exportatrices affichent des performances encourageantes, notamment dans les secteurs mécanique, électrique et des phosphates". En revanche, il observe que "d'autres secteurs traditionnellement porteurs marquent le pas, comme le textile, ou sont en net repli, à l'image de l'énergie qui chute de 33% et de l'agroalimentaire qui recule de 19,2%, principalement en raison de la baisse des prix de l'huile d'olive sur les marchés internationaux". Côté importations, l'ancien ministre pointe du doigt le poids considérable de l'énergie : "Ce secteur représente à lui seul plus de 50% de notre déficit commercial, suivi par les biens de consommation qui ont augmenté de 15,7%". Hassan identifie quatre facteurs structurels expliquant ce déséquilibre chronique : "Nous souffrons d'une dépendance excessive au marché européen, actuellement en phase de ralentissement, ce qui impacte directement nos exportations. Par ailleurs, nous assistons à une érosion progressive de la compétitivité de notre industrie, aggravée par notre déficit énergétique chronique et notre vulnérabilité aux fluctuations des cours mondiaux des matières premières". L'ancien ministre note toutefois un élément positif : "L'augmentation des importations de matières premières et d'équipements pourrait signaler une reprise de l'activité productive, ce qui constituerait un signal encourageant pour notre économie".

Inflation maîtrisée : vers une détente monétaire ?

Sur le front de l'inflation, désormais contenue à environ 5,6%, Mohsen Hassan exprime sa satisfaction : "Nous avons réussi à maîtriser ce paramètre crucial grâce à une combinaison efficace de politique monétaire prudente menée par la Banque Centrale et de mesures gouvernementales appropriées". L'ancien ministre salue particulièrement "la gestion rigoureuse du taux d'intérêt et du taux de change qui a permis de stabiliser progressivement notre économie". Toutefois, Hassan estime que "des efforts supplémentaires restent nécessaires pour ramener notre inflation à des niveaux comparables à ceux observés dans des économies similaires à la nôtre". Pour y parvenir, il préconise "le maintien d'une politique monétaire vigilante mais suffisamment flexible pour s'adapter aux évolutions de la conjoncture". Sur le plan gouvernemental, l'ancien ministre recommande "un renforcement du soutien à la production nationale, particulièrement dans le secteur agricole, ainsi qu'une optimisation urgente des circuits de distribution qui pèsent actuellement sur les prix à la consommation". Hassan plaide également pour "une révision approfondie de notre législation sur la concurrence afin de renforcer les prérogatives du Conseil de la Concurrence et lutter efficacement contre les pratiques anticoncurrentielles". Dans ce contexte d'apaisement inflationniste, l'ancien ministre estime que "la Banque Centrale pourrait légitimement envisager une nouvelle réduction du taux directeur pour stimuler l'investissement et la consommation, tout en conservant naturellement une marge de manœuvre suffisante pour réagir en cas de dégradation imprévue des conditions économiques externes".

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