Le scandale TSI révèle des failles structurelles profondes dans le système financier tunisien. Dans un marché étroit et saturé, où la multiplication des intermédiaires masque une offre financière limitée, l’illusion des gains rapides et la confiance aveugle dans les agréments officiels exposent les investisseurs à des risques majeurs. Il est désormais urgent de repenser la gouvernance : cela passe par la valorisation du capital humain par la formation continue et une rémunération équitable, par la digitalisation des processus des intermédiaires et des sociétés de gestion, ainsi que par l'engagement actif des épargnants dans une veille rigoureuse.
Cet article se veut une contribution concrète au débat sur la refondation de notre place financière. Sans céder à l’émotion ni à la stigmatisation, il vise à poser les bases d’une réflexion collective, lucide et sereine sur les vulnérabilités de notre système, mais aussi sur les leviers concrets de redynamisation. Il est important de rappeler que toutes les places financières, même les plus matures, sont exposées à des opérations frauduleuses, y compris sous forme de chaînes de Ponzi. La différence réside dans la capacité à prévenir, détecter et sanctionner rapidement ces dérives. C’est pourquoi le besoin d’une place financière solide, crédible et attractive reste fondamental dans toute économie.
En dépassant une vision systémique restrictive et en élargissant le spectre à toutes les parties prenantes, on peut aboutir à des axes “structurels” qui méritent des études approfondies en vue de construire des réponses qualitatives et pérennes.
1/ Transparence et information insuffisante
Les documents officiels et prospectus restent souvent trop techniques et inaccessibles pour le grand public, limitant l’évaluation objective des risques. Cette opacité contribue à une mauvaise compréhension de l’utilisation des fonds et expose les épargnants aux systèmes frauduleux.
Il s’agit aussi de mettre en relief le rôle des économistes en chef, des analystes, des structures indépendantes, des médias dans la diffusion d’une information de qualité.
2/ Un manque de culture financière
Les initiatives d’éducation financière, bien que présentes, sont généralement ponctuelles et mal adaptées aux enjeux. Ce déficit culturel, constaté aussi bien au niveau des professionnels que des investisseurs, empêche une gestion prudente et transparente. Il est essentiel de former continuellement les équipes de gestion pour développer leur capacité à détecter les signaux d’alerte (protéger les whistleblowers) et à anticiper les risques, tout en valorisant leurs compétences par une rémunération à la hauteur des responsabilités.
3/ Confiance excessive dans les labels officiels
L’agrément délivré par les autorités est souvent interprété comme une garantie infaillible de qualité. Toutefois, l’absence de suivi permanent et de mécanismes de contrôle internes rigoureux montre qu’un simple agrément ne peut assurer la bonne gouvernance d’un intermédiaire sans un soutien technologique et humain adéquat.
4/ Fragmentation dans un marché saturé
La multiplication des intermédiaires sur un marché étroit fragmente les volumes d’affaires. Cette dispersion limite les économies d’échelle et comprime les marges, rendant le modèle économique actuel difficilement pérenne, surtout pour les structures qui ne sont pas filiales de banques. Il faut réfléchir sérieusement à enrichir le marché primaire actions (révision de la réglementation, incitations, nouvelles introductions notamment…), revitaliser le marché obligataire (notation, mécanisme de garantie pour les PME, etc.) tout en incitant à la consolidation des acteurs en vue de restaurer la cohérence et la compétitivité du marché.
5/ Responsabilisation des épargnants
Souvent trop réceptifs aux réputations et agréments officiels, de nombreux investisseurs ne disposent pas des outils nécessaires pour analyser et suivre activement leur portefeuille. Pour renforcer la sécurité des investissements, il est crucial d’encourager l’organisation d’associations ou de réseaux d’épargnants, offrant ainsi un canal d’information et de veille collective. Mais il est aussi important que l’épargnant apprenne à rémunérer le service d’indépendants pour disposer d’analyses et de conseils patrimoniaux.
L’autorité de régulation a pris plusieurs mesures qui méritent attention, car elles marquent un tournant – bien que tardif – dans la tentative de reprise en main du marché:
- Transmission du dossier TSI à la justice et nomination d’un administrateur judiciaire
D’autres mesures concrètes sont mises en place pour améliorer la surveillance du secteur :
- Contrôles ciblés : Des missions de contrôle sont désormais effectuées sur les intermédiaires en bourse et les gestionnaires d’actifs. S’appuyant sur une approche basée sur les risques, ces vérifications – menées sur pièces et sur site – visent à s’assurer du strict respect des obligations réglementaires.
- Cadre d’évaluation MENAFATF : Ces contrôles s’inscrivent dans le cadre de l’évaluation mutuelle de MENAFATF pour 2025-2026, une initiative qui doit renforcer la transparence et la rigueur du secteur et inciter à une révision des pratiques actuelles.
Ces mesures, bien que déterminantes, ne sauraient à elles seules garantir une transformation durable : elles soulignent également l’urgence de moderniser la gouvernance via la digitalisation et de renforcer la culture financière des acteurs.
La modernisation de la gouvernance passe par une transformation digitale ambitieuse :
- Digitalisation avancée : L’intégration d’applications dédiées et d’outils d’intelligence artificielle permet d’automatiser la surveillance des opérations, d’identifier en temps réel les anomalies et d’optimiser la production de reporting.
- Mécanismes de conformité modernisés : Les nouvelles technologies offrent des analyses prédictives et permettent d’assurer un suivi continu, garantissant ainsi un respect rigoureux des règles et une meilleure transparence des pratiques.
Il faut aussi restaurer le rôle actif des organes de délibération (Conseil d’Administration et Assemblées) en relevant le niveau d’exigence et de performance (peut être le recrutement d’Administrateurs indépendants…). En combinant ces avancées technologiques à une gestion humaine renforcée, le secteur pourra non seulement gagner en efficacité, mais aussi en fiabilité, restaurer la confiance des investisseurs et répondre aux exigences d’un marché en phase avec une évolution.
L’exemple de New Body Line (qui n’est pas la seule…) illustre parfaitement ces enjeux. En 2024, l’entreprise a enregistré une baisse marquée de ses performances, avec une provision exceptionnelle de près de 6,7 millions de dinars pour couvrir des placements liés à TSI. Ce provisionnement massif met en lumière une gestion défaillante et l'absence d’un contrôle rigoureux par des équipes formées à l’analyse des risques au niveau des entreprises. Là encore, l’investissement dans le capital humain aurait sans doute permis de mieux anticiper ces risques et de limiter l’impact négatif sur la performance financière.
La transformation du système ne pourra être efficace sans une implication accrue des épargnants. C’est pourquoi il est indispensable qu’ils :
- Adoptent une veille proactive : Accéder à des rapports clairs et à des analyses fiables afin de suivre l’évolution du marché et comprendre les risques.
- S’organisent collectivement : Se structurer en réseaux ou associations pour échanger sur les meilleures pratiques et exercer une pression pour une meilleure transparence.
- Exercent leur responsabilité : Utiliser des outils de contrôle et signaler rapidement toute anomalie afin de contribuer à une régulation informelle du marché.
Pour dynamiser le segment des petites et moyennes entreprises ainsi que des entreprises de taille intermédiaire (ETI) sur la Bourse de Tunis, il est essentiel de créer un environnement attractif en allégeant les conditions d’admission et permettre à un financement moins coûteux (cf. infra). Il faut peut-être mettre en place des avantages fiscaux ciblés pour les entreprises qui choisissent de s’introduire en bourse pouvant inclure, notamment des exonérations d'impôt liées à l'investissement dans des projets de modernisation ou de développement pré introduction et une déduction fiscale sur certaines charges liées aux coûts de mise en conformité et de communication financière. Ces incitations permettront de réduire le coût de financement et de faciliter la transition vers une cotation publique, conformément aux dispositions réglementaires en vigueur.
2/ Mise en place d’un mécanisme de garantie des émissions d’emprunts
Afin de renforcer la confiance des investisseurs dans le marché obligataire, surtout de l’ouvrir aux PME et autres entreprises, il est judicieux d’introduire un mécanisme de garantie pour les émissions d’emprunts. Ce dispositif, qui pourrait être géré en partenariat avec des institutions publiques et privées, aurait pour objectif d’assurer une couverture partielle ou totale des risques liés aux défauts de paiement des émetteurs. Outre constituer une alternative au financement bancaire (garantie ou crédit), il permettra de dynamiser le marché des émissions et mobiliser une épargne additionnelle.
3/ Développement du marché obligataire
Le renforcement du marché obligataire passe par la conception d’un programme structuré, long dans le temps et accompagné par les parties prenantes (Bourse de Tunis, AIB, CMF, BCT, etc.) et destiné aux chefs d’entreprises (PME/ETI). Le programme facilitera l’émission d’obligations par ces dernières et certaines startups, tout en respectant les règles de divulgation et de transparence imposées par la réglementation. Les émissions devront garantir ainsi l’accès à un financement à long terme de qualité.
En résumé, ces propositions de dynamisation – via une segmentation dédiée aux PME/ETI, la mise en place d’un mécanisme de garantie des émissions d’emprunts, et le développement structuré du marché obligataire – s’inscrivent dans une démarche de modernisation régulée. Chaque initiative devra être validée et, le cas échéant, ajustée selon la réglementation en vigueur, sous la supervision étroite du CMF et en concertation avec les institutions concernées. Ce cadre permet ainsi de stimuler la compétitivité et la résilience du marché financier tunisien tout en assurant une protection accrue pour les investisseurs.
L’affaire TSI, ainsi que les difficultés rencontrées par des acteurs comme New Body Line, démontrent l’urgence de repenser notre système financier. La transformation passe par une double approche : moderniser la gouvernance via la digitalisation et des mécanismes de contrôle plus performants, et investir massivement dans le capital humain tout en mobilisant les épargnants dans une démarche de veille active. C’est une réforme intégrée – alliant innovations techniques et réformes culturelles – qui restaurera la confiance et permettra à notre marché d’évoluer vers une plus grande résilience et pérennité.