Banques, assurances, BCT : la Tunisie face à une grève sans précédent

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anis habibi oct. 31, 2025, 4:50 PM

Le secteur bancaire et financier tunisien s'apprête à vivre deux journées de paralysie totale. Une grève générale, prévue les 3 et 4 novembre 2025, touchera l'ensemble des établissements, y compris la Banque Centrale. Cette mobilisation sans précédent intervient après la rupture du dialogue social et l'enlisement des négociations entre syndicats et directions.

Le syndicat dénonce un dialogue social rompu

L'annonce émane de la Fédération générale des banques, des institutions financières et des compagnies d’assurance, affiliée à l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), dont le secrétaire général Ahmed Jaziri a défendu cette action jeudi lors de son passage sur Jawhra FM. « Cette décision a été votée par les bases syndicales », a-t-il précisé, soulignant que « la grève n'est jamais une fin en soi, mais un moyen de pression destiné à ramener les parties à la table des négociations ».

Les revendications du syndicat s'articulent autour de trois axes majeurs. D'abord, le respect du droit syndical bafoué. Ensuite, la revalorisation du pouvoir d'achat sévèrement érodé des travailleurs, notamment suite aux dispositions de la Loi de finances 2025. Enfin, l'application effective de l'article 412 (troisième alinéa) de la loi n° 2024/41 du Code de Commerce aux employés bancaires.

Un secteur oublié des augmentations salariales

Ahmed Jaziri a pointé du doigt une injustice flagrante. Le secteur bancaire et financier demeure le seul à n'avoir pas bénéficié de l'augmentation salariale de 2025. « C'est un droit légitime », a-t-il martelé, rappelant que les dernières revalorisations remontent à avril 2024, tandis que d'autres secteurs comme la fonction publique et La Poste ont obtenu satisfaction.

Face aux critiques évoquant les avantages supposés du secteur, le responsable syndical a rétabli certaines vérités. Les banquiers effectuent 50 heures hebdomadaires, et les primes de rendement trimestrielles, souvent surestimées, peuvent être amputées en cas d'absences ou de retards.

L'article 412 ou une « désobéissance » dénoncée

Un point de friction particulièrement sensible concerne l'inapplication de l'article 412, destinée à limiter les taux d'intérêt sur les prêts à moyen et long terme (au-delà de sept ans). Ahmed Jaziri n'a pas mâché ses mots. Il a qualifié la directive présidentielle d'application de cette loi de « décision révolutionnaire et sociale », tout en dénonçant vigoureusement le fait que les employés bancaires, pourtant citoyens et clients tunisiens, en soient exclus.

« C'est un acte de désobéissance », a-t-il tranché. Seule une banque publique aurait respecté la loi grâce à l'initiative de son PDG, qui fait depuis l'objet de pressions au sein du secteur. Selon le syndicat, les directions générales renvoient systématiquement la responsabilité vers le Conseil Bancaire et Financier (CBF), alimentant un jeu de ping-pong institutionnel.

Le CBF dénonce une grève « injustifiée »

En réponse à l'appel à la mobilisation, le Conseil Bancaire et Financier a publié un communiqué cinglant le 30 octobre 2025, qualifiant la grève d'« injustifiée et inacceptable ». Le CBF a rappelé le caractère vital du secteur bancaire, « pilier fondamental de l'économie nationale », et a insisté sur la nécessité de privilégier l'intérêt général.

Selon le Conseil, cette grève « ne repose sur aucune justification sociale ou économique valable » et risque de porter gravement préjudice aux particuliers, entreprises et institutions.

Tout en reconnaissant le droit de grève garanti par la loi, le CBF a mis en avant ses efforts constants pour améliorer les conditions de travail et préserver le pouvoir d'achat. Il considère le capital humain comme « la garantie fondamentale de la pérennité des établissements ».

Le Conseil s'est engagé à activer les augmentations salariales dès la ratification et la publication de l'article 15 de la Loi de finances 2026 et de son décret d'application. Une proposition jugée prématurée par les syndicats, qui exigent l'application immédiate de leurs droits pour l'année 2025.

Le communiqué s'achève par un appel aux employés à « faire preuve de compréhension » et à « se rallier à leurs institutions afin de préserver le service public et les intérêts des clients ».

Un bras de fer aux conséquences incertaines

Cette confrontation illustre un fossé croissant entre les attentes des travailleurs du secteur bancaire et les réponses institutionnelles. Alors que les syndicats brandissent la menace d'une paralysie totale, le patronat mise sur la responsabilité des employés face à l'intérêt général.

Les deux prochains jours détermineront si ce rapport de force débouchera sur une reprise du dialogue ou sur un durcissement du conflit, avec des répercussions potentiellement lourdes pour l'économie tunisienne.

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