Pourquoi les obligations américaines ne protègent plus les portefeuilles

Analyse Boursiére (INTER)
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firas aouadi août 27, 2025, 7:56 AM

Depuis son retour à la Maison-Blanche en janvier, Donald Trump multiplie les pressions sur la Réserve fédérale pour obtenir une baisse des taux d'intérêt. Le président américain multiplie les attaques contre Jerome Powell, espérant précipiter son départ et le remplacer par un dirigeant plus aligné sur sa vision économique. Le 22 août 2025, le président de la Fed a finalement ouvert la porte à une possible réduction des taux en septembre.

Un cocktail économique préoccupant

L'économie américaine navigue actuellement en eaux troubles, prise en étau entre un marché de l'emploi qui se dégrade, des tensions commerciales persistantes et l'incertitude autour de la politique monétaire.

Le marché du travail, longtemps moteur de la croissance, donne des signes inquiétants d'essoufflement. En juillet 2025, le taux de chômage a grimpé à 4,2% contre 4,1% le mois précédent. Plus préoccupant encore : seulement 73 000 emplois ont été créés, très en dessous des prévisions, tandis que les chiffres de mai et juin ont été révisés à la baisse de 258 000 postes.

Côté inflation, la situation semble sous contrôle à première vue. Après avoir nettement décéléré en 2024, elle s'établit à 2,7% en rythme annuel en juillet, restant légèrement au-dessus de l'objectif de 2% de la Fed. Cependant, l'intensification des droits de douane sur des secteurs stratégiques - agroalimentaire, biens de consommation, intrants industriels - fait craindre un retour des pressions inflationnistes dans les prochains mois.

La croissance économique accuse déjà le coup. Sur le premier semestre, le PIB n'a progressé que de 1,2%, soit moins de la moitié du rythme de 2024. Pour les analystes, le principal risque à court terme n'est pas tant une récession qu'une résurgence de l'inflation, compliquant davantage les arbitrages de la Fed.

Les calculs stratégiques de la Fed

Après avoir déclaré « nous ne laisserons pas une hausse des prix devenir un problème d'inflation durable », Jerome Powell semble avoir temporairement mis de côté l'objectif strict des 2% d'inflation face aux tarifs douaniers de Trump. Plusieurs facteurs techniques ont visiblement pesé dans cette inflexion.

En août 2025, les marchés obligataires américains affichent des conditions de crédit exceptionnellement favorables, témoignant d'une confiance renforcée des investisseurs dans la stabilité du système financier.

 

Spread ICE BofA HY ajusté aux options (OAS)

 

L'indice ICE BofA des obligations à haut rendement (OAS) s'établit à seulement 2,8%, bien en dessous de sa moyenne historique de 5,24%. Ce resserrement marqué des spreads traduit une forte confiance dans la solvabilité des entreprises, malgré un environnement économique tendu entre inflation persistante et guerre commerciale.

Cette compression coïncide avec des résultats d'entreprises solides, particulièrement dans le segment "investment grade" où les bénéfices du deuxième trimestre ont bondi de 7,6%, dépassant les prévisions. Une performance qui contraste avec des indicateurs macroéconomiques plus ternes.

Parallèlement, la Fed peut se permettre d'assouplir sa politique grâce à l'évolution favorable du dollar face à ses principales devises concurrentes.

Pickup contre cash des grandes devises

 

L'avantage concurrentiel du dollar

Une baisse des taux américains pourrait en réalité renforcer l'attractivité des obligations en dollars dans le contexte actuel de tensions commerciales. Le mécanisme est simple : si la Fed abaisse ses taux directeurs, les rendements du cash chutent tandis que ceux des obligations corporates restent attractifs. Par exemple, si les obligations "investment grade" rapportent 3% et que le taux du cash tombe de 2,75% à 2%, l'écart passe de 0,25% à 1%, améliorant considérablement l'attrait du marché obligataire américain.

Toutefois, cette euphorie du crédit cache des risques. Des spreads aussi resserrés peuvent signaler une prise de risque excessive. Une dégradation brutale des fondamentaux ou une remontée inattendue des taux longs pourrait déclencher une correction sévère sur les actifs risqués, pénalisant lourdement les portefeuilles d'investissement.

La réaction des marchés à cette décision

Les marchés actions américains ont affiché une forte réaction positive aux propos de Powell, avec des gains significatifs sur tous les grands indices dès la mi-séance du 22 août. Le Dow Jones a bondi de 880.52 points, soit +1.97%, pour atteindre 45 666.02 points, tandis que le S&P 500 a progressé de 103.86 points (+1.63%) à 6 474.03 points. Les valeurs technologiques ont mené la hausse : le Nasdaq a grimpé de 410.73 points (+1.77%) à 23 553.31 points, et le Nasdaq élargi de 415.35 points (+1,97 %) à 21 515.66 points.

Les performances individuelles des actions ont reflété un optimisme généralisé, avec les valeurs financières et industrielles en tête. American Express a mené les hausses du Dow avec une progression de +3.88% à 320.13 $, suivie de Caterpillar (+3.82 % à 433.86 $) et Home Depot (+3.59 % à 411.99 $). Parmi les valeurs les plus échangées, les grands noms de la tech ont également enregistré de solides gains : NVIDIA a avancé de +1.61 % à 177.79 $, Amazon de +2.00 % à 226.38 $, et Apple de +1.55 % à 228.39 $.

Enfin, l’indice de volatilité VIX a chuté de 12.23 % pour s’établir à 14.57, traduisant une réduction de l’aversion au risque sur les marchés.

Les marchés obligataires ont réagi de manière contrastée aux signaux de détente monétaire envoyés par Powell. Les rendements des « Treasuries » à court terme (2 ans) ont reculé de près de 15 points de base, reflétant une anticipation plus forte de baisses de taux d’ici la fin de l’année. En revanche, les rendements longs (10 ans et 30 ans) sont restés stables, voire légèrement haussiers, traduisant des craintes persistantes d’inflation et un ajustement des primes de risque.

 

US 2 year treasury note

Le changement de paradigme obligataire 

 

L'ancien régime (1997-2020) : Les obligations comme bouclier Durant cette période, les obligations constituaient une protection fiable lors des corrections boursières. Sur 10 chutes du S&P 500 de plus de -10%, les Treasuries américains ont progressé dans 9 cas, avec un gain moyen de +7%. Cette protection fonctionnait car les chocs étaient principalement déflationnistes. Face aux récessions, les banques centrales baissaient les taux pour relancer l'économie, ce qui faisait monter le prix des obligations existantes qui offraient des taux plus élevés.

Le nouveau régime (post-COVID) : L'échec de la protection traditionnelle Le paradigme s'est inversé avec l'émergence de chocs inflationnistes. Sur 3 corrections majeures du S&P 500 depuis le COVID, les Treasuries ont terminé en négatif dans 2 cas. L'exemple de 2022 est frappant : -13% pour les obligations américaines contre -24% pour le S&P 500. Face à l'inflation, les banques centrales remontent les taux, ce qui fait chuter le prix des obligations existantes devenues moins attractives. Les deux classes d'actifs ont chuté simultanément, rendant les obligations inefficaces comme diversificateur.

 

Corrélation glissante sur 3 ans entre le S&P 500 et les obligations du Trésor américain

Les nouvelles stratégies de protection

Pour les investisseurs particuliers : Intégrer une allocation aux matières premières (or, cuivre, etc.) qui tend à bien performer dans un environnement inflationniste et offre une décorrélation avec les actifs financiers traditionnels.

Pour les investisseurs institutionnels : Allouer environ 25% du portefeuille à des actifs alternatifs moins corrélés aux marchés actions-obligations : immobilier, infrastructures de transport, stratégies hedge funds spécialisées. Ces actifs peuvent mieux résister aux chocs simultanés sur les actions et obligations.

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