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L'or : valeur éternelle dans un monde de crédit illimité

Analyse Boursiére (INTER)
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firas aouadi mars 21, 2025, 12:35 PM

L'or selon Morgan : une vérité financière intemporelle

« L'or est de l'argent. Tout le reste est du crédit », affirmait J.P. Morgan, articulant ainsi l'essence même de ce métal précieux dans l'architecture financière mondiale. Dans notre économie contemporaine fondée sur la dette, l'or transcende son statut de simple métal précieux pour s'imposer comme une valeur refuge intemporelle, un rempart contre l'instabilité économique et un indicateur particulièrement sensible des inquiétudes qui agitent les marchés financiers.

À travers les âges, les guerres et les multiples bouleversements monétaires, l'or a invariablement préservé sa valeur intrinsèque, défiant les fluctuations qui affectent les autres classes d'actifs. Cette résilience exceptionnelle soulève des questions fondamentales : quelle position occupe véritablement l'or dans l'écosystème financier au fil des époques ? Dans quelle mesure les décisions macroéconomiques, les politiques budgétaires et les orientations financières influencent-elles sa trajectoire ? Et surtout, face aux mutations profondes que connaît notre système financier, l'avenir de l'or conservera-t-il son éclat légendaire ?

L'histoire de l'or

L'or a toujours fasciné l'humanité, incarnant richesse, pouvoir et stabilité économique. Depuis l'Antiquité, ce métal précieux a servi non seulement de monnaie d'échange mais aussi de réserve de valeur incontestée, constituant pendant des siècles la pierre angulaire du système monétaire mondial. L'Égypte ancienne utilisait l'or pour ses objets funéraires royaux, tandis que la Rome impériale fondait son système monétaire sur l'aureus en or, garantissant ainsi la puissance de son commerce méditerranéen.

Avec l'intensification du commerce international et l'émergence des grandes puissances économiques, un système monétaire articulé autour de l'or s'est progressivement imposé. Au cours du XIXe siècle, la majorité des nations adopte l'étalon-or, un régime où la valeur des monnaies est directement ancrée à une quantité déterminée d'or. La Grande-Bretagne fut pionnière en adoptant officiellement ce système en 1821, suivie par l'Allemagne en 1871 et les États-Unis en 1879. La France rejoint ce mouvement en instaurant le franc-or, consolidant ainsi l'hégémonie de ce mécanisme qui assure une stabilité monétaire en contraignant l'émission de devises à la quantité d'or effectivement détenue par les banques centrales.

Ce modèle commence toutefois à s'effriter face aux bouleversements économiques et politiques du XXe siècle. La Première Guerre mondiale engendre une explosion des dépenses publiques, contraignant de nombreux pays à suspendre la convertibilité de leurs monnaies en or pour financer l'effort de guerre. L'Allemagne, écrasée par les réparations de guerre, voit son mark s'effondrer dans une hyperinflation désastreuse en 1923. Durant l'entre-deux-guerres, les gouvernements adoptent des approches plus interventionnistes, et l'étalon-or cède progressivement la place aux monnaies flottantes. Le Royaume-Uni abandonne l'étalon-or en 1931, sous la pression de la crise économique. Chaque nation ajuste désormais sa politique monétaire selon ses impératifs économiques internes, n'hésitant pas à dévaluer sa devise comme le fit la France avec le franc Poincaré en 1928, ou à ériger des barrières protectionnistes comme les États-Unis avec la loi Smoot-Hawley de 1930. Cette instabilité atteint son paroxysme avec la Grande Dépression de 1929, qui incite les pays à privilégier des stratégies économiques nationales au détriment d'un système monétaire global.

Confrontées aux dévastations économiques de la Seconde Guerre mondiale, les puissances alliées décident d'édifier un nouveau cadre monétaire international. En 1944, les accords de Bretton Woods instaurent un système où toutes les devises sont désormais rattachées au dollar américain, lui-même convertible en or au taux fixe de 35 dollars l'once. Ce dispositif garantit une certaine stabilité aux échanges internationaux, permettant au Japon et à l'Allemagne de l'Ouest de reconstruire rapidement leurs économies, tandis que la livre sterling britannique, autrefois dominante, voit son influence décliner au profit du dollar américain.

Néanmoins, face à l'amplification des déficits américains, notamment due aux coûts de la guerre du Vietnam, et à la demande croissante d'or de pays comme la France sous de Gaulle, qui convertit activement ses dollars en or dès 1965, ce modèle révèle rapidement ses faiblesses structurelles. En 1971, le président américain Richard Nixon met un terme à la convertibilité du dollar en or, un événement retenu dans l'histoire sous l'appellation de "Nixon Shock". Cette décision marque l'effondrement du système de Bretton Woods et inaugure l'ère des taux de change flottants, où les devises évoluent librement selon les mécanismes de l'offre et de la demande sur les marchés financiers mondiaux. La Suisse, traditionnellement attachée à l'or, maintient partiellement son franc lié au métal précieux jusqu'en 2000, illustrant la persistance de l'attachement à cette valeur refuge malgré les bouleversements du système monétaire international.

De l'étalon monétaire à l'actif financier : l'or dans l'économie moderne

Depuis l'abandon de l'étalon-or et la démonétisation formelle du métal précieux à la suite du "Nixon Shock" de 1971, l'or a progressivement changé de statut dans le système financier mondial. Bien qu'ayant perdu sa fonction officielle d'ancrage monétaire, il a conservé et même renforcé son rôle de valeur refuge et d'instrument de diversification dans les portefeuilles d'investissement. Cette transformation a modifié les facteurs influençant son cours, désormais étroitement lié aux variables macroéconomiques contemporaines. Parmi ces facteurs déterminants, la politique monétaire, et plus particulièrement l'évolution des taux d'intérêt réels, exerce une influence prépondérante sur le prix de l'or.

La relation entre l'or et la courbe des taux d'intérêt

Contrairement aux obligations qui génèrent des rendements périodiques, l'or se distingue comme un actif sans rendement intrinsèque, mais également dépourvu de risque de contrepartie, particulièrement lorsqu'il est détenu sous forme physique. Cette caractéristique fondamentale explique pourquoi le cours de l'or évolue généralement dans le sens inverse de la courbe des taux d'intérêt réels, c'est-à-dire les taux d'intérêt nominaux ajustés à l'inflation, communément appelés "real yields". Les analystes financiers observent ainsi une corrélation négative persistante entre ces deux variables.

Le taux d'intérêt réel représente la différence entre le taux d'intérêt nominal fixé par les banques centrales et le taux d'inflation observé sur la même période. Cette mesure reflète le rendement effectif des placements une fois l'érosion monétaire prise en compte. En 2024, la Réserve fédérale américaine (Fed) a orchestré un assouplissement monétaire progressif, abaissant ses taux directeurs à trois reprises pour un total cumulé de 100 points de base. Le cycle s'est amorcé le 18 septembre 2024 avec une réduction significative de 50 points de base, suivie de deux baisses consécutives de 25 points de base en novembre puis en décembre, ramenant ainsi le principal taux directeur américain dans une fourchette de 4,25% à 4,50%.

Cette politique monétaire expansionniste, conjuguée à une remontée de l'inflation, a entraîné une dépréciation du dollar américain, devise de référence pour les échanges internationaux. Ce contexte a incité de nombreux États à renforcer stratégiquement leurs réserves en or pour contrebalancer la dévalorisation de leurs avoirs libellés en dollars. Ce mouvement s'explique par la capacité unique de l'or à préserver sa valeur intrinsèque même dans un environnement de taux d'intérêt réels négatifs, où la détention d'obligations souveraines représente mécaniquement une perte de pouvoir d'achat pour les investisseurs institutionnels.

Le rôle stratégique des banques centrales

L'intensification des incertitudes économiques et géopolitiques, couplée à une remise en question croissante de l'hégémonie du dollar américain, a conduit de nombreux pays, particulièrement les puissances émergentes, à accroître significativement leurs réserves d'or. Cette tendance s'inscrit dans une stratégie plus large de diversification des actifs et de recherche d'autonomie financière face aux aléas du système monétaire international.

Avant la pandémie de COVID-19, en mars 2019, les réserves d'or de la Chine s'élevaient à environ 1 885 tonnes. En décembre 2024, elles ont atteint 2 280 tonnes, marquant une augmentation de 395 tonnes. En février 2025, les réserves ont encore progressé pour atteindre 2 289,6 tonnes. Cette progression constante souligne l'engagement continu de la Chine envers ce métal stratégique. Les inquiétudes liées à l'instauration de nouveaux droits de douane à l'importation aux États-Unis, imposés par le président américain Trump, ainsi que leurs répercussions potentielles sur la croissance économique américaine et l'inflation, sans oublier l'instabilité géopolitique grandissante, ont propulsé l'or à des niveaux historiques. Le 19 mars 2025, le cours de l'or a atteint un nouveau record, culminant à 3 045,24 $ l'once.

Les lingots ont enregistré une appréciation impressionnante de 27 % en 2024, représentant la plus forte hausse en 14 ans.

Comme l'a souligné Frank Watson, analyste de marché chez Kinesis Money : « Les acquisitions de la PBOC (People's Bank of China) constituent un facteur déterminant soutenant le cours de l'or ; la poursuite de ces achats pourrait contribuer à consolider davantage sa valorisation ». Cette analyse met en lumière l'influence considérable des décisions stratégiques de la banque centrale chinoise sur le marché mondial de l'or.

Parallèlement, la Russie a vu ses réserves d'or atteindre un niveau sans précédent en février 2025, équivalant à 217,4 milliards de dollars. Cette accumulation record reflète la stratégie russe visant à diversifier ses actifs souverains et à réduire sa dépendance aux devises étrangères, particulièrement dans un contexte d'économie de guerre.

La relation entre l'or et les marchés d'actions

L'analyse de la relation entre l'or et les marchés d'actions met en évidence la fonction essentielle du métal jaune comme valeur refuge ("safe haven") dans différentes configurations de portefeuille, qu'il s'agisse de stratégies d'investissement actives, passives ou dynamiques.

Sur la dernière décennie, l'or a démontré une performance supérieure à celle d'indices majeurs tels que le Dow Jones et, dans une période plus spécifique (2020-2021), le S&P 500, ainsi qu'à d'autres métaux précieux comme l'argent. L'examen attentif de sa trajectoire révèle une appréciation quasi linéaire accompagnée d'une volatilité remarquablement contenue sur le long terme, contrastant avec les fluctuations parfois erratiques des marchés actions.

Cette caractéristique fait de l'or un actif de stabilisation privilégié au sein d'un portefeuille diversifié. Qu'il s'agisse de périodes d'expansion économique, de crise ou de récession, le risque systémique associé à l'or demeure singulièrement limité, offrant ainsi une protection appréciable contre les turbulences des marchés financiers.

L'étude de la corrélation entre l'or et le S&P 500, l'indice boursier le plus représentatif du marché américain, révèle une relation fluctuante. Les variations des deux actifs peuvent tantôt s'orienter dans des directions similaires, tantôt diverger sensiblement. Cette absence de corrélation stable confère à l'or un attrait particulier en matière de diversification, permettant ainsi d'optimiser le profil risque-rendement global d'un portefeuille d'investissement. Cette caractéristique s'avère précieuse tant pour les investisseurs institutionnels que pour les particuliers en quête d'une exposition équilibrée aux différentes classes d'actifs.

Perspectives d'évolution du cours de l'or

Face à la trajectoire impressionnante du cours de l'or ces dernières années, une question fondamentale se pose naturellement : quelle orientation ce métal précieux adoptera-t-il dans un avenir proche ? Pour tenter d'y répondre avec pertinence, l'analyse technique offre des éléments d'appréciation significatifs.

La configuration actuelle du marché, caractérisée par une succession de "lower highs" (sommets décroissants), de "higher highs" (sommets croissants) et, plus récemment, par l'établissement d'un "all time high" (record historique), suggère la persistance d'une dynamique haussière solide. Cette tendance semble d'autant plus robuste que des institutions financières de premier plan, telles que JP Morgan et BlackRock, continuent d'accroître leurs positions et de développer leurs stratégies spéculatives sur l'or. Dans ce contexte, les analyses convergent vers une projection ambitieuse, estimant que le cours pourrait atteindre le seuil des 3 400 dollars l'once d'ici la fin de l'année 2025.

Il convient néanmoins de nuancer cette perspective en tenant compte des spécificités des différents marchés sur lesquels s'échange l'or. En tant qu'actif négociable aussi bien sur les marchés de gré à gré (OTC) que sous forme de contrats pour différence (CFD) prisés par les investisseurs spéculatifs, l'or connaît des dynamiques parfois divergentes selon les plateformes. Ainsi, le marché à terme COMEX a récemment enregistré un repli qui s'explique principalement par l'arrivée à échéance de nombreux contrats, impliquant soit leur renouvellement (rollover) vers des échéances ultérieures, soit une migration des capitaux vers le marché au comptant (spot). Cette dernière option semble particulièrement attrayante pour les spéculateurs après la performance exceptionnelle enregistrée et compte tenu du potentiel de croissance qui demeure substantiel.

La diversité des perspectives d'évolution du cours de l'or reflète la complexité des facteurs influençant sa valorisation, alliant fondamentaux macroéconomiques, considérations géopolitiques et dynamiques propres aux marchés financiers. Dans un monde marqué par l'incertitude et la recherche de valeurs pérennes, l'or continue ainsi d'affirmer sa position singulière au sein du paysage des actifs financiers, conjuguant tradition millénaire et pertinence contemporaine.

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