Selon des informations obtenues par Reuters, les banques privées tunisiennes ont cessé d'accorder des prêts dépassant 15 ans, une mesure qui pourrait gravement compromettre l'accès à la propriété pour de nombreux Tunisiens. Cette restriction, transmise aux équipes commerciales par voie verbale uniquement, serait une réponse directe aux nouvelles réglementations bancaires entrées en vigueur en janvier dernier.
Ahmed Jaziri, secrétaire général de la Fédération générale des banques, des institutions financières et des compagnies d'assurance, affiliée à l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), a confirmé cette situation le 9 avril 2025 sur les ondes de la radio nationale. Il a dénoncé une mesure « unilatérale » s'appliquant à l'ensemble des banques opérant en Tunisie, « sans concertation ni communication préalable avec les représentants du secteur ou les parties prenantes ».
"Nous avons reçu des instructions verbales de la direction pour arrêter les prêts à terme fixe avec des échéances dépassant 15 ans," a confié à Reuters un haut responsable d'une banque privée. Selon lui, l'absence de directives écrites viserait délibérément à éviter toute trace qui pourrait exposer les banques à des sanctions des autorités financières.
Des responsables de deux autres établissements bancaires privés ont confirmé avoir reçu des consignes similaires. Le secteur bancaire tunisien compte environ 19 banques privées.
Les nouvelles réglementations imposées par le gouvernement prévoient des réductions de taux d'intérêt de 50% sur certains prêts à taux fixe et exigent des banques qu'elles émettent un volume défini de prêts sans intérêt. Des mesures initialement conçues pour soutenir les ménages tunisiens face à la crise économique.
"L'objectif de cette restriction est de réduire les risques financiers résultant des prêts à faible coût, qui augmentent la pression sur les banques et la distribution des dividendes attendus aux actionnaires," a expliqué à Reuters un autre responsable bancaire.
Cette riposte du secteur bancaire n'est guère surprenante : selon Fitch Ratings, les nouvelles réglementations pourraient réduire les bénéfices annuels combinés des banques tunisiennes de 11%. À cela s'ajoute l'augmentation du taux d'imposition sur les bénéfices bancaires, qui passera de 35% à 40% à partir de janvier 2025.
Ahmed Jaziri a mis en garde contre les conséquences négatives d'une telle décision sur l'économie nationale, soulignant que la restriction de la durée des prêts risque de freiner l'investissement, d'aggraver la pression sur les emprunteurs et de réduire l'accessibilité au financement à long terme.
Mohamed Souilem, analyste financier et ancien directeur de la politique fiscale à la Banque Centrale de Tunisie, partage cette inquiétude. "La décision pourrait affecter les notations de crédit des banques, et les Tunisiens auraient vraiment du mal à obtenir des prêts immobiliers maintenant," a-t-il averti dans une déclaration à Reuters.
Ces développements s'inscrivent dans un contexte économique et politique déjà tendu. Le vendredi 21 mars, le président Kais Saied avait reçu le gouverneur Nouri au Palais de Carthage pour un entretien axé sur les orientations futures de l'institution monétaire. Le chef de l'État y avait clairement défini ses attentes : une révision profonde de la loi régissant la BCT pour renforcer sa contribution face aux défis financiers et son soutien à l'économie nationale.
"La législation nationale doit s'appliquer sans exception à l'ensemble du secteur bancaire", avait alors martelé le président, dénonçant particulièrement certaines pratiques qu'il juge trompeuses, comme "la diminution des taux d'intérêt accompagnée d'une majoration parallèle du capital de la dette".
Parmi les réformes envisagées figure notamment la modification du statut de la Banque centrale, permettant à l'État d'y emprunter directement pour financer le Trésor public. Cette proposition, qui éviterait le recours aux emprunts bancaires traditionnels à taux élevés, suscite de vives inquiétudes parmi les économistes. Nombreux sont ceux qui y voient un risque majeur d'inflation incontrôlée, susceptible d'aggraver davantage la situation d'une économie tunisienne déjà en grande difficulté, où la croissance n'a pas dépassé 1,4% sur l'année écoulée.