

Le Directeur Général de la Bourse de Tunis, Bilel Sahnoun, a tiré la sonnette d'alarme sur l'urgence de réformer le cadre législatif régissant le marché financier tunisien, lors de son passage dans l'émission "Tounès El Iktissadia" diffusée sur Al Watania 1, le mardi 4 novembre 2025.
Bilel Sahnoun, également Président de la Fédération Arabe des Marchés de Capitaux (AFCM), a dressé un constat sans appel : alors que les marchés financiers représentent en moyenne entre 30% et 40% du financement des économies dans le monde, la Bourse de Tunis ne dépasse pas les 10% du financement de l'économie tunisienne.
"Chaque année, nous oscillons entre 5% et 10%. Cela signifie que les banques s'accaparent 90% du financement de l'économie nationale, avec des taux d'intérêt élevés qui pèsent sur les entreprises", explique-t-il.
Avec une capitalisation boursière d'environ 33 milliards de dinars, la Bourse de Tunis souffre d'un déséquilibre majeur : plus de la moitié provient des institutions financières (banques, assurances et sociétés de leasing).
"Aujourd'hui, notre Bourse n'est pas le miroir de l'économie, mais plutôt le miroir du secteur financier", déplore Bilel Sahnoun. Des secteurs entiers de l'économie tunisienne brillent par leur absence : agriculture, tourisme, mines, télécommunications. "On peut dire que la moitié des secteurs qui composent le PIB de notre pays ne sont pas représentés à la Bourse tunisienne."
Le Directeur Général dresse un diagnostic sans appel en pointant du doigt la loi de 1994 régissant le marché financier tunisien, devenue un frein majeur. "Quand elle a été créée, la Tunisie était pionnière, parmi les premières en Afrique et dans la région arabe. Mais de 1994 à aujourd'hui, la législation n'a pas évolué et n'a pas suivi l'évolution de l'industrie financière dans le monde."
Cette obsolescence législative limite drastiquement les produits financiers disponibles. Les échanges se limitent presque exclusivement aux actions des sociétés cotées et aux bons du Trésor. "Nous sommes à l'ère du digital, de la FinTech, de la BlockChain, du marché carbone, des Green Bonds... La loi de 94 n'en parle même pas", s'insurge-t-il.
Pour dynamiser le marché boursier tunisien, Bilel Sahnoun prône une approche combinant contrainte et incitation.
Le volet contrainte
Il rappelle l'existence d'une circulaire de la Banque Centrale de 2006, restée lettre morte, qui oblige les entreprises ayant des financements bancaires dépassant 25 millions de dinars à choisir entre être notées par une agence de notation ou s'introduire en Bourse. "Il faut élever cette circulaire au rang de loi", insiste-t-il.
Il cite l'exemple d'autres pays comme les États-Unis et l'Inde, où l'introduction en Bourse devient obligatoire selon plusieurs critères : nombre d'actionnaires, taille de l'entreprise, ou risque systémique pour le secteur bancaire. "Facebook et Google ont été introduites en Bourse de manière obligatoire, pas par choix", rappelle-t-il.
Le volet incitation
Côté carotte, le dirigeant plaide pour des incitations fiscales renforcées, notamment pour les fonds investissant dans les PME via le marché alternatif. "Lever des fonds propres via la Bourse peut aider et renforcer les entreprises, améliorer leur négociation avec les banques et améliorer leur rentabilité."
La comparaison avec les Bourses de pays similaires est éloquente. En Égypte, en Jordanie et au Maroc, la capitalisation boursière atteint 50% du PIB, contre seulement 20% en Tunisie. "Pour nous comparer à eux, il faudrait multiplier la taille de notre Bourse par 2,5", constate Bilel Sahnoun.
Malgré ces défis structurels, le marché boursier tunisien affiche des performances remarquables. L'indice Tunindex a progressé de 15% en 2024 et de 27% depuis le début de 2025. "En moins de deux ans, un investisseur aurait pu faire plus de 40% de rendement", souligne le Directeur Général.
Cette hausse s'explique par une demande supérieure à l'offre, alimentée par l'ancienne épargne et la nouvelle épargne qui se dirige vers la Bourse. Particularité tunisienne : contrairement au Maroc où les investisseurs institutionnels dominent, la majorité des investisseurs en Tunisie sont des personnes physiques.
Bilel Sahnoun plaide pour l'introduction de produits financiers innovants, actuellement impossibles à développer sous le cadre légal actuel :
Les fonds indiciels (ETF) : permettre aux investisseurs d'acheter l'indice Tunindex en entier, sans avoir à sélectionner des actions individuelles
Les fonds d'investissement immobilier (REITs) : offrir l'accès à l'immobilier via des parts dans un portefeuille d'actifs, une solution potentielle à la crise du secteur
Les fonds de réhabilitation de zones industrielles : mobiliser l'épargne publique pour financer la relance des zones industrielles
La bonne nouvelle : un projet de réforme a été préparé conjointement par le Ministère des Finances, la Bourse de Tunis, le Conseil du Marché Financier (CMF) et Tunisie Clearing. La mauvaise : il attend toujours d'être examiné par le Conseil des Ministres puis ratifié par l'Assemblée.
"Il faut que la loi nous permette de développer de nouveaux produits, de nouveaux marchés, pour attirer de nouveaux investisseurs et permettre à la Tunisie d'avancer", conclut Bilel Sahnoun, appelant à une mobilisation urgente pour moderniser le cadre législatif du marché financier tunisien.