Rapport Annuel BCT 2024 : Une stabilisation fragile sur fond de défis structurels

Analyse macro économique
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abdallah azzouz août 28, 2025, 3:43 PM

Rapport de la Banque Centrale Tunisienne : politique monétaire, conjoncture macroéconomique et situation financière 

 

L'année 2024 restera marquée par un paradoxe économique tunisien : alors que les indicateurs monétaires affichent une certaine résilience avec des réserves de change consolidées à 27,3 milliards de dinars (121 jours d'importation) et un Tunindex performant avec un rendement annuel de 13,75%, la croissance économique peine à décoller, plafonnant à 1,4 %. Cette dynamique à deux vitesses, où agriculture et tourisme soutiennent une économie handicapée par le recul industriel et immobilier, révèle les tensions profondes d'un modèle en quête d'équilibre. Dans un contexte international marqué par l'incertitude, l'analyse du rapport annuel 2024 de la Banque centrale de Tunisie éclaire les enjeux d'une politique monétaire restrictive face aux défis structurels persistants.

Politique restrictive maintenue : le pari du contrôle inflationniste



En 2024, la Banque centrale de Tunisie a maintenu son taux directeur à 8 %, confirmant une politique restrictive pour contenir l’inflation. L’encours global de ses interventions monétaires a progressé de 12,3 %, porté par la hausse des facilités de prêt à 24 h et l’introduction d’un refinancement à six mois, tandis que les opérations principales de refinancement ont reculé. Le portefeuille de titres publics s’est contracté sous l’effet d’échéances arrivées à terme, traduisant la volonté de limiter le financement direct du Trésor. Le crédit bancaire n’a augmenté que de 2,8 %, bien en deçà de la croissance nominale de l’économie, reflet d’un effet d’éviction du secteur privé par le financement de l’État. En revanche, la liquidité des banques s’est améliorée grâce à la progression des dépôts (+10,3 %), ce qui a permis au ratio de liquidité (225 %) et au ratio crédits/dépôts (96,2 %) de s’ajuster favorablement.

Risque de crédit et qualité des actifs

La stabilité du système bancaire tunisien en 2024 a été influencée par un ensemble de facteurs macroéconomiques et financiers. Si les indicateurs de solvabilité, de rentabilité et de liquidité ont enregistré une amélioration par rapport à 2023, la qualité des actifs s’est, en revanche, dégradée, en lien avec la persistance des difficultés du secteur productif, en particulier des petites et moyennes entreprises (PME). 

 

En 2024, la qualité des actifs bancaires s’est dégradée : la part des créances classées a atteint 14,1 % des engagements (contre 13,6 % en 2023), touchant aussi bien les entreprises privées (18,9 %) que les ménages (8 %). Les créances radiées ont augmenté à 2,7 milliards de dinars, révélant une vulnérabilité persistante du portefeuille bancaire. Parallèlement, le taux de provisionnement a légèrement reculé à 51,4 % (contre 53 %), malgré le renforcement des provisions collectives imposé par la Banque centrale, qui ont atteint près de 2 milliards de dinars. 

L'écart préoccupant entre croissance nominale et crédit privé

 

En 2024, l’environnement macroéconomique a été marqué par une croissance modérée du PIB réel (+1,4 %), un repli de l’inflation (6,2 % en décembre 2024 contre 8,1 % fin 2023) et une contraction du déficit courant à -1,5 % du PIB. Ces évolutions ont contribué à réduire certaines vulnérabilités externes et à atténuer les pressions inflationnistes. Cependant, le déficit budgétaire, bien qu’en repli à 6 % du PIB, demeure élevé, et le recours accru à l’endettement intérieur a renforcé l’exposition des banques aux besoins de financement de l’État. 

 

Dans ce contexte, l’écart entre la croissance nominale de l’économie (+8,9 %) et l’évolution du crédit bancaire (+2,8 %) s’est accentué. La faiblesse persistante de la dynamique de crédit au secteur privé reflète un resserrement des conditions d’accès au financement, mais aussi une demande insuffisante en raison de la fragilité du tissu productif et des perspectives économiques limitées. 

Ratios prudentiels en progression : l'encadrement des dividendes porte ses fruits

 

Les ratios prudentiels du secteur bancaire ont enregistré une progression en 2024. Le ratio de solvabilité global s’est établi à 14,5 %, contre 14,2 % fin 2023, et le ratio Tier 1 a atteint 11,9 %, en hausse par rapport à 11,3 % en 2023. La structure des fonds propres reste dominée par les fonds propres de base, qui représentent 81,9 % du total. Ces évolutions traduisent les effets conjoints de l’encadrement de la distribution des dividendes pour qui  et du renforcement des règles de calcul des provisions collectives. 

 

Rentabilité bancaire : les revenus titres compensent la faiblesse du crédit



La rentabilité du secteur bancaire s’est améliorée en 2024. Le retour sur actifs (ROA) a atteint 1,2 % et le retour sur fonds propres (ROE) 11,4 %, contre des niveaux inférieurs en 2023. Cette progression est liée à une augmentation du résultat net sectoriel de 12 % et du produit net bancaire de 6,2 %. Les principales sources de cette amélioration sont la hausse des revenus du portefeuille titres (+18,1 %) et des commissions (+4,8 %). À l’inverse, la marge d’intérêt a légèrement reculé (-1,6 %), reflétant la faiblesse de la dynamique de crédit. 

Liquidité abondante : progression des dépôts et désendettement vis-à-vis de la BCT

 

Les conditions de liquidité des banques se sont assouplies en 2024 grâce à une croissance soutenue des dépôts, qui ont augmenté de 10,3 % (contre 7,4 % en 2023). Cette progression a concerné aussi bien les dépôts en dinars (+10,9 %) que ceux en devises (+7,2 %). 

 

En conséquence, le ratio de liquidité (LCR) s’est accru, atteignant 225 % en 2024 contre 188 % en 2023. Le recours au refinancement de la BCT a légèrement reculé, représentant 4,6 % des ressources totales contre 4,8 % un an plus tôt. Le ratio crédits/dépôts (LTD) a poursuivi sa tendance baissière, revenant à 96,2 % fin 2024, contre 101,4 % en 2023. Ces évolutions traduisent une amélioration relative de la structure des ressources, bien que la dépendance des banques au financement de l’État reste un facteur de risque.

 

La Bourse de Tunis, un îlot de performance

 

Le marché boursier tunisien a prolongé en 2024 la tendance positive amorcée en 2023. L'indice Tunindex a enregistré une performance remarquable avec un rendement annuel de 13,75%, nettement supérieur aux 7,90% de 2023, reflétant la solidité des performances des sociétés cotées dans un contexte économique contrasté. En revanche, les émissions sur le marché primaire, qu'elles soient publiques ou privées, ont reculé. Les Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières (OPCVM) ont poursuivi leur développement, confirmant leur rôle croissant dans l'intermédiation financière.

Perspectives 2025 : entre optimisme mesuré et risques persistants

 

L’économie tunisienne devrait enregistrer en 2025 un taux de croissance de 3,2 %, après 1,4 % en 2024. Cette évolution serait soutenue par plusieurs facteurs :

  • une bonne campagne agricole en lien avec l’amélioration des conditions climatiques

  • la consolidation de l’activité des services, en particulier le tourisme

  • la reprise progressive de l’activité minière

Toutefois, le ralentissement de la Zone Euro, principal partenaire commercial, constitue un facteur de risque important pour les industries manufacturières exportatrices.

L’inflation devrait reculer à 6,7 % en moyenne annuelle, contre 7 % en 2024, mais rester au-dessus du niveau cible. La politique monétaire de la Banque centrale, après avoir réduit le taux directeur à 7,5 % en mars 2025 (contre 8 % maintenu en 2024), devrait rester prudente face aux incertitudes.

Le déficit budgétaire, hors privatisations et dons, devrait se réduire à 5,5 % du PIB en 2025 contre 6 % en 2024. Le ratio de dette publique, quant à lui, poursuivrait sa baisse mais resterait élevé. Le financement intérieur demeurera une source importante de couverture, alors que les ressources extérieures devraient rester limitées.

La balance courante devrait s’améliorer à -1,2 % du PIB, soutenue par les recettes touristiques et les transferts des travailleurs à l’étranger. Les avoirs en devises devraient rester proches de 27 milliards de dinars, soit environ 120 jours d’importation

L’analyse des données économiques et financières de 2024 montre une amélioration relative de certains équilibres macroéconomiques en Tunisie (recul du déficit courant, baisse du déficit budgétaire, reconstitution des réserves en devises) et un renforcement des indicateurs bancaires de solvabilité, rentabilité et liquidité. Toutefois, la situation demeure fragile en raison de la qualité dégradée des actifs bancaires, de la faiblesse persistante de la croissance et de la dépendance accrue aux financements intérieurs pour couvrir le déficit public.

À l’échelle internationale, le ralentissement attendu en 2025, combiné à la montée du protectionnisme et aux tensions géopolitiques, constitue un environnement incertain susceptible de peser sur les perspectives tunisiennes. La reprise projetée repose sur des hypothèses favorables (bonne campagne agricole, consolidation du tourisme, redressement minier), mais elle reste exposée à des risques externes (croissance faible de la Zone Euro, tensions commerciales) et internes (pression budgétaire, fragilité du secteur productif).  

Cet article se réfère aux rapport de la BCT 2024 et aux différentes études de l’équipe de Irbe7 dans une perspective purement pédagogique afin de comprendre l'actualité financière et économique. 

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