En Tunisie, l’exclusion financière ne se résume pas à une statistique : elle se vit, au quotidien, dans les régions oubliées, les quartiers périphériques, les projets avortés faute de crédit. Seuls 36 % des adultes disposent d’un compte bancaire, et près de 70 % des transactions se font en espèces. Ce n’est pas un retard technologique, c’est une fracture systémique.
Un million de foyers sans accès bancaire, des garanties bancaires qui étouffent l’initiative (jusqu’à 180 % du montant emprunté !), et une envolée des commissions bancaires… Dans les régions intérieures, l’accès au financement devient un parcours d’obstacles, alors même que l’emploi, l’innovation et la résilience locale en dépendent.
Dans ce contexte, il ne suffit plus de réformer le système. Il faut créer de nouveaux circuits économiques, plus inclusifs, plus proches, plus ancrés. C’est là que les Fonds d’Investissement à Impact Communautaire (FIIC) prennent tout leur sens.
Un FIIC, c’est bien plus qu’un fonds d’investissement (automat. C’est un levier hybride : au croisement de la finance publique, de l’épargne privée et des ressources de la diaspora. Son mandat ? Financer des projets à forte utilité territoriale, portés par des communautés, avec une vision de long terme.
Il repose sur trois piliers fondamentaux :
- Un rendement financier durable (pas de rentabilité au rabais, mais une rentabilité responsable).
- Un impact social mesurable : emplois créés, jeunes soutenus, femmes intégrées, services de base accessibles.
- Une préservation environnementale assumée : agriculture régénérative, énergie renouvelable, économie circulaire.
Le tout piloté par une gouvernance locale et transparente, impliquant les élus, les citoyens et les experts ESG.
Loin d’être marginal, l’investissement à impact pèse aujourd’hui 1 450 milliards USD d’actifs sous gestion dans le monde. Près de 275 milliards sont déjà orientés vers des projets communautaires.
En Afrique, 140 fonds d’impact actifs ont mobilisé près de 5 milliards USD ces deux dernières années. La tendance est claire : l’avenir du financement se jouera aussi dans les territoires.
Et la Tunisie, nous avons des initiatives locales qui, au départ, correspondaient à ce schéma (Gafsa, Tataouine, Bizerte, etc.). A défaut de publications et de littérature, on ne peut pas juger de l’impact et de l’efficience de ses dernières, encore moins s’en inspirer pour affiner et dupliquer un modèle local.
Le financement des Fonds d’Investissement à Impact Communautaire (FIIC) à l’international repose sur un panachage de sources publiques, privées et hybrides, mobilisées dans une logique d’investissement patient, orienté vers des résultats sociaux, économiques et environnementaux mesurables. Voici les principaux canaux et mécanismes utilisés :
Au vu de la spécificité du marché et de la conjoncture, la collecte de fonds pour les potentiels FIIC Tunisiens doit se baser sur une logique hybride, combinant ressources locales et contributions extérieures, publiques et privées. Nous pensons que c’est une stratégie modulaire qui permet d’adapter la levée de fonds aux réalités locales, en combinant diverses sources, instruments et phases de financement.
La stratégie visera à mobiliser des capitaux patients, alignés sur des objectifs d’impact territorial (retours plus lents et risque plus important). Il faudra plutôt amorcer par des grants et des fonds publics, des subventions (first-loss) fournis par des bailleurs pour réduire le niveau de risque pour les autres investisseurs. Cela permettra ensuite de structurer des levées successives, en intégrant progressivement des acteurs plus diversifiés.
Cette approche modulaire constitue un levier d’intelligence collective et de résilience financière, essentiel à l’adaptation des FIIC à la diversité des territoires tunisiens et à l’évolution des opportunités de financement dans un environnement instable.
Le cadre législatif tunisien des fonds d’investissement s’articule autour du Code des Organismes de Placement Collectif (loi 2001-83) et de ses décrets d’application, complété par la loi 2005-105 (FCPR) et le décret-loi 2011-99 (assouplissement SICAR/FCPR), sous la supervision du CMF : chaque véhicule (FCPR, SICAR, fonds de fonds…) doit être agréé, respecter des règles de gouvernance et peut bénéficier d’exonérations de plus-values et de déductions fiscales pour ses souscripteurs. Les FIIC peuvent tout à fait se greffer sur ces catégories existantes et profiter des régimes en place sans création d’un nouveau statut. En revanche, pour maximiser leur vocation sociale et communautaire, il serait utile de réfléchir à des incitations ponctuelles —par exemple via un crédit d’impôt dédié (loi des finances) ou un abattement renforcé à l’entrée—plutôt que de modifier en profondeur le corpus législatif.
D’autre part, et depuis 2022, le statut des ESS (en cours) et des sociétés communautaires permet d’ancrer juridiquement ces nouvelles formes d’entreprise territoriale. En 2025, la Loi de Finances a frappé fort pour les sociétés :
- Exonération d’impôt sur les sociétés pendant 10 ans
- Zéro TVA et zéro droit de douane
- Non-imposition à vie des dividendes et des plus-values
À cela s’ajoutent les subventions publiques (jusqu’à 50 % via l’ANETI et le ministère de l’Emploi) et des appels à projets réguliers.
Pour mobiliser les grands investisseurs à impact (banques de développement, fonds souverains, asset managers ESG), les FIIC doivent respecter des standards élevés :
- Indicateurs internationalement reconnus : GRI, IRIS+, PRI
- Tableaux de bord dynamiques, en open data
- Audit ESG indépendant, chaque année
- Une communication d’impact : rapports publics, webinaires, récits d’initiatives
Ce niveau d’exigence, loin d’être un fardeau, devient un atout pour accéder à des financements concessionnels, à des green bonds, ou à des lignes de crédit internationales plus compétitives.
Les FIIC ne sont pas un gadget financier. Ils incarnent une réponse systémique à la double urgence tunisienne : réparer les fractures territoriales et offrir des opportunités d’investissement à fort impact.
Pour les investisseurs visionnaires, ils représentent une occasion unique d’aligner capital et convictions.
Pour les communautés locales, ils offrent une bulle d’oxygène économique et sociale.
Pour la Tunisie, ils dessinent un modèle nouveau, ancré, audacieux et exportable.