C'est avec un retard considérable que la Société Tunisienne de Sidérurgie "El Fouladh" a finalement publié ses états financiers pour l'exercice clos fin 2023. Cette publication tardive ne fait que confirmer une situation critique redoutée de tous et met en lumière l'urgence des décisions qui devront être prises lors des Assemblées Générales Ordinaire (AGO) et Extraordinaire (AGE) convoquées pour le 30 juin 2025. Le verdict des chiffres est sans appel : avec des pertes cumulées qui anéantissent désormais huit fois son capital social, une dette colossale et des capitaux propres négatifs abyssaux, le sidérurgiste historique tunisien est techniquement en état de faillite. L'avenir de l'entreprise ne repose plus sur sa performance, mais sur un plan de restructuration gouvernemental.
La performance de l'année 2023 révèle une dégradation spectaculaire de l'activité. Le chiffre d'affaires a baissé de 16 % pour s'établir à 145,7 millions de dinars (MD), conséquence directe d'une baisse des ventes et des prix. Plus grave encore, le résultat d'exploitation bascule dans le rouge à -3,9 MD, contre un bénéfice de 31 MD un an plus tôt. Cela signifie que le cœur de métier de l'entreprise ne génère plus aucun profit. Écrasée par des charges financières nettes qui s'envolent à 40,3 MD, El Fouladh enregistre au final une perte nette record de 42,8 MD pour l'exercice.
Cette défaillance opérationnelle se double d'une crise de liquidité aiguë, comme le démontre l'analyse des flux de trésorerie. En 2023, les activités d'exploitation ont consumé 16,1 MD de cash, indiquant que l'entreprise dépense plus pour payer ses fournisseurs et ses employés qu'elle n'encaisse de ses clients. Cette hémorragie est aggravée par des flux d'investissement et de financement également négatifs, qui représentent les dépenses en maintenance et les remboursements de prêts. Au total, la trésorerie de l'entreprise a fondu de 20,1 MD supplémentaires sur l'année, portant le déficit de trésorerie net à une position alarmante de -55,2 MD.
Conséquence directe de cette situation, le bilan au 31 décembre 2023 dresse le portrait d'une structure financière exsangue. Le chiffre le plus alarmant est celui des capitaux propres, négatifs à hauteur de 382,4 millions de dinars. Ce déficit s'explique par l'accumulation des pertes historiques, qui, après l'intégration du résultat de 2023, atteignent le montant colossal de 448,3 MD. Ces pertes ont non seulement effacé la totalité du capital social de 53,3 MD, mais ont creusé un trou abyssal. La dette totale, quant à elle, atteint le chiffre écrasant de 628 MD, incluant des engagements critiques de 183 MD envers les fournisseurs, dont 146 millions pour la seule STEG, et 281,7 MD de dettes financières.
Ce diagnostic interne est corroboré par le rapport des commissaires aux comptes, qui constitue un véritable réquisitoire. Leur opinion est assortie de réserves sévères qui soulignent des incertitudes majeures et une gouvernance financière défaillante. Les auditeurs émettent un doute sérieux sur la continuité de l'exploitation, tout en pointant du doigt la non-fiabilité de la valeur des immobilisations, une gestion des stocks défaillante, des comptes clients et fournisseurs non justifiés, ainsi que l'absence de provisions critiques pour le démantèlement futur du haut-fourneau ou la mise à jour des indemnités de retraite.
.Face à ce péril imminent, les actionnaires sont appelés à se prononcer sur la poursuite de l'activité. Cette décision se base sur un "programme de restructuration en cours d'examen par la Présidence du Gouvernement". Il s'agit d'un projet visant à construire une nouvelle aciérie pour répondre à un enjeu stratégique national qui est de combler le déficit en billettes d'acier, estimé à 700 000 tonnes par an. Actuellement, la production d'El Fouladh plafonne à 85 000 tonnes, forçant le pays à importer près de 600 000 tonnes pour environ 300 millions de dollars annuellement. Pour ce faire, le ministère de l'Industrie a soumis en décembre 2023 une demande de financement via un prêt étranger garanti par l'État, un dossier qui a été présenté à la Banque Islamique de Développement avec qui les discussions sont en cours.