Depuis 2004, le crowdfunding connaît un trend de croissance en Amérique du Nord, Asie- Pacifique et Europe, et tarde à s'implanter en Afrique et la zone MENA. D'après STATISTA, le marché global des transactions touchera 1.20 Mi $ en 2024 (croissance moyenne de 1,43% jusqu'à 2028), pour une levée moyenne de 8.15 k $ par opération (plus de 6 millions de campagnes). Les USA dominent le marché avec plus de 40% de parts de marché.
Même si on en discute depuis plus de dix ans en Tunisie, le financement participatif demeure peu connu. Il y a encore beaucoup de pédagogie à faire autour du crowdfunding, aussi bien du côté des entreprises pour faire connaître cette solution alternative ou complémentaire de financement, que du côté des épargnants pour qu'ils contribuent au financement de l'économie réelle.
Le projet de loi de finances relatif à 2025 prévoit quelques incitations aux entreprises et personnes physiques qui investissent à travers des plateformes de crowdfunding pour celles qui font du prêt (crowdlending) ou de participation (crowdequity). Deux remarques s'imposent :
- À date, il n'existe pas de plateforme de prêt, pas d'agrément en cours selon nos informations (au conditionnel à défaut d'information de la BCT),
- Le cadre réglementaire du crowdequity n'est pas opérationnel à défaut de publication d'un règlement spécifique (projet toujours sur le site du CMF). Les seules plateformes que nous connaissons, celles du don (crowdgiving), ne sont pas dans le champ de ces propositions… pourquoi ? Au travers de cet article, nous essayerons d'illustrer les problématiques qui se posent encore aux deux catégories de plateformes qui pourraient être opérationnelles, une fois l'agrément obtenu.
Le Crowdgiving (Reward Crowdfunding) : crowdfunding sous forme de don. Il peut s'agir de :
- Dons sans contrepartie (récompense) : donations "coup de cœur" ;
- Dons avec une contrepartie symbolique : une carte postale, un t-shirt à l'effigie de l'entreprise, etc. ;
- Pré-ventes / précommandes du produit ou service pour lequel la campagne de financement a été lancée (cette configuration demeure aléatoire en Tunisie). Les dons perçus renforcent les fonds propres, sans dilution du capital et obligation de rémunération (entre autres), et permettent de créer un effet de levier sur d'autres financements : prêts d'honneur, prêts bancaires, subventions, etc.
Généralement, les montants levés demeurent relativement faibles par rapport aux autres formes de crowdfunding (entre 3 et 5 k € en 2022 pour la France). En Tunisie, la législation actuelle ne prévoit des exonérations que pour les dons à certaines associations et des personnes physiques… pas de dons d'entreprises à entreprises exonérés !
Pis, Décrets du 8/05/1922 amendé par le décret du 21/12/1944 - qui réglementent la souscription publique font que les entreprises ne peuvent donner à d'autres entreprises via une plateforme à mon avis. Un éclairage de juristes, fiscalistes et experts comptables serait le bienvenu, il permettrait d'éclairer la faisabilité et le traitement fiscal des dons d'entreprise à entreprise (licéité, facturation éventuelle, TVA, retenue à la source, exonération, etc.) et une précision de la notion de « porteur de projet » serait la bienvenue. A priori pas de dons d'entreprises à entreprises sur une plateforme pour 2025 (au minimum !), ce qui restreint leur capacité de collecte et constitue un handicap de plus.
Les plateformes ne peuvent pas héberger des projets économiques portés par des associations et les faire financer (micro-projets). Pour la France, le don à une entreprise sur une plateforme de crowdgiving ouvre droit à réduction d'impôt sur les sociétés pour les trois formes évoquées plus haut. Le montant de la réduction d'impôt est égal à 60% des versements effectués, dans la limite d'un plafond unique de 5 ‰ du CA hors taxes, l'excédent est reporté successivement sur les cinq exercices suivants.
Le Crowdlending : crowdfunding sous forme de prêt, Il peut s'agir de :
- Prêts sans intérêts ;
- Prêts avec intérêts, sans caution ni garantie ;
- Prêts en minibons (formule peu probable en Tunisie puisque assimilés à des bons de caisse) Ce type de crowdfunding permet, en général, de financer des dépenses non prises en compte par les banques, comme le besoin de liquidité ou des projets d'investissements immatériels. Généralement non dilutif, il permet de raccourcir les délais d'obtention des fonds. Nous n'avons pas de plateforme de prêt à ce jour, ni la culture du prêt sans garanties. Au passage, le marché des créances obligataires notées (et même garanties) a disparu depuis des années hors banques et sociétés de leasing.
On ne manquera pas de signaler les problématiques de rémunération de risque, l'encadrement des taux imposés aux plateformes et le traitement des prêts sans intérêts. La proposition de loi de finances 2025 se propose d'étendre les exonérations relatives aux réinvestissements à la souscription via des plateformes :
- Les exonérations prévues pour les opérations de réinvestissement sont étendues aux émissions sur les plateformes, dans les mêmes conditions relatives à l'émetteur,
- Une exonération de la TVA sur les intérêts perçus au titre d'opérations de prêt.
En France, le crowdlending est soumis au Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU) sur les intérêts perçus (flat tax de 30%) ou la tranche marginale d'impôt si elle est plus favorable (pour les personnes physiques surtout). Un régime spécial s'applique aux résidents à l'étranger et il est possible d'amortir les déficits consécutifs à des pertes par déduction sur les intérêts perçus (reportable sur 5 ans). Pour l'immobilier (crowdfunding immobilier), il est exclu du champ de l'ISF.
À défaut de vécu, juger de la pertinence et/ou de l'efficacité des mesures qui figurent dans la proposition de loi relève de la pure spéculation. À ce stade, il est clair qu'en termes de fiscalité les plateformes n'offrent pas d'avantages spécifiques/additionnels.
Un petit pas…, en attendant des plus grands !
Le projet de loi 2025 a le mérite d'aborder la fiscalité spécifique des plateformes de crowdfunding, indépendamment de leur réalité.
Le cadre réglementaire se complète par une première série d'exonérations fiscales, aussi minimes soient-elles.
Il est néanmoins important, voire vital, de prendre en charge la spécificité des plateformes de dons et libéralités et autoriser expressément, explicitement les entreprises à donner (crowdgiving). Il est tout aussi utile de réfléchir à une fiscalité spécifique au don car les fonds propres sont le seul moyen de financement des startups et des entreprises innovantes à leur début (pas de financement bancaire, très peu d'investisseurs, etc.).
Dans un contexte comme le nôtre, opérationnaliser une plateforme de prêts peut s'avérer complexe. En effet, l'équilibre entre les contraintes techniques, réglementaires et la réalité du marché (épargnants…). La mise en place d'incitations fiscales spécifiques et avantageuses est à même de permettre à de nombreuses startups et entreprises de financer des investissements et des projets que les banques ne financent pas (immatériel, trésorerie, etc.).
À la date de ce jour, nous n'avons aucun agrément déclaré (donc pas de plateformes opérationnelles) mais aussi très peu de projets qui sont susceptibles de voir le jour..., c'est peut-être un mal pour un bien ! Cela permettra à qui de droit et de regard de mesurer l'utilité et l'impact des plateformes, d'améliorer le cadre réglementaire et fiscal, pour amener les épargnants et entreprises à soutenir la création et le développement d'entreprises (startups aussi) d'une part mais aussi les canaliser vers le circuit formel.
« Les investissements d'aujourd'hui sont les profits de demain et les emplois d'après-demain. » Helmut Schmidt