Le marché financier tunisien nécessite une réforme profonde, selon Bilel Sahnoun, directeur général de la Bourse de Tunis. Confronté à une économie dépendant à 95% du financement bancaire, le responsable appelle à une modernisation complète du cadre réglementaire pour stimuler les investissements boursiers et diversifier les sources de financement des entreprises. Dans une interview accordée à Sabrine AHMED pour le journal La Presse en début de semaine, M. Sahnoun détaille les obstacles actuels au développement du marché financier et propose une feuille de route ambitieuse pour transformer la Bourse de Tunis en un véritable moteur de croissance économique.
Selon le directeur général de la Bourse de Tunis, la forte concentration du financement de l'économie tunisienne sur le système bancaire expose le pays à des risques systémiques importants. "En cas de tension sur la liquidité bancaire ou de ralentissement du crédit, c'est l'ensemble du tissu économique qui pourrait en pâtir", souligne-t-il.
Cette situation comporte plusieurs inconvénients majeurs : elle freine l'innovation financière, limite la diversité des outils de financement et pénalise particulièrement les entreprises à fort potentiel de croissance. Pour les PME notamment, un endettement trop important réduit leur rentabilité et peut même menacer leur pérennité.
Bilel Sahnoun dresse un constat sans appel : le marché financier tunisien ne joue aujourd'hui qu'un rôle modeste dans le financement direct des entreprises. Avec une capitalisation boursière inférieure à 20% du PIB, il reste bien en deçà de son potentiel. Plus préoccupant encore, de nombreux secteurs clés de l'économie nationale sont absents de la cote : télécommunications, phosphates, agriculture, énergie, mines ou encore tourisme.
"Il ne s'agit pas de substituer la finance directe au financement bancaire, mais de construire un écosystème financier équilibré, en multipliant les modes de financement disponibles et en créant de nouveaux leviers de croissance", précise M. Sahnoun.
Pour dynamiser le marché, le directeur général propose également d'instaurer des dispositifs structurants favorisant la bonne gouvernance et la transparence. Il évoque notamment l'idée d'une procédure d'introduction en Bourse obligatoire pour certaines entreprises atteignant un seuil spécifique d'engagements financiers ou présentant un intérêt public particulier.
Parallèlement, Bilel Sahnoun insiste sur la nécessité de mettre en place des incitations fiscales attractives pour encourager les introductions en Bourse.
Pour expliquer cette situation, le directeur général identifie plusieurs freins majeurs :
- Un cadre réglementaire obsolète : la loi-cadre régissant le marché date de 1994 et n'a pas suivi les évolutions de l'industrie financière mondiale.
- Des réticences culturelles : de nombreuses entreprises tunisiennes, particulièrement les entreprises familiales, hésitent à ouvrir leur capital par crainte de perdre le contrôle ou par manque d'information.
- Un déficit d'attractivité : la Bourse souffre d'un manque de diversité des titres proposés et d'une liquidité insuffisante.
Face à ces défis, Bilel Sahnoun préconise une série de réformes ambitieuses pour dynamiser le marché financier tunisien. L'axe prioritaire concerne la modernisation du cadre réglementaire, avec notamment la révision de la loi n°94-117 relative au marché financier.
Cette refonte permettrait :
- L'introduction de nouveaux produits boursiers (produits dérivés, fonds indiciels cotés, marché des matières premières)
- La création d'un compartiment spécifique pour les start-ups avec des conditions d'accès adaptées
- Le renforcement de la profondeur du marché en incitant les grandes entreprises, tant privées que publiques, à s'introduire en Bourse
"L'objectif est double", conclut le directeur général, "renforcer l'attractivité pour les entreprises, notamment les PME et les start-up, et améliorer notre positionnement vis-à-vis des investisseurs domestiques et étrangers". Une vision qui pose les jalons d'un marché financier tunisien plus dynamique, inclusif et compétitif.