La majorité des PME tunisiennes – et d’ailleurs une grande partie des PME de la région MENA – sont familiales. Elles sont solidement implantées, proches de leur territoire, et portées par des valeurs de transmission et d’engagement personnel. Mais cette force peut devenir une faiblesse si l’entreprise ne parvient pas à s’adapter aux nouvelles règles du jeu économique : transformation digitale, exigences environnementales, attentes des investisseurs, nouvelles formes de financement.
La question n’est plus « faut-il changer ? », mais plutôt comment évoluer sans perdre son identité ? Et surtout, comment le faire de façon réaliste, en tenant compte des moyens, du temps et des contraintes des dirigeants ?
La transformation d’une entreprise commence rarement par un logiciel ou un audit. Elle commence par une décision du dirigeant : celle de vouloir s’organiser, transmettre, et construire quelque chose qui lui survive. En Tunisie comme ailleurs, trop d’entreprises fonctionnent encore « à l’instinct », avec des décisions prises dans l’urgence, sans un cap partagé. Ce n’est pas une question d’intelligence, mais de charge mentale et de solitude du dirigeant.
Le fait de structurer un peu la gestion – en instaurant des réunions régulières, en partageant les informations clés, en fixant des objectifs réalistes – constitue déjà une première révolution. Ces signaux, même modestes, sont très souvent ce qui déclenche l’intérêt d’un investisseur, d’un partenaire ou d’un financeur.
La gouvernance ne doit pas être vue comme une couche administrative supplémentaire. Bien pensée, elle est au contraire un outil d’agilité, de clarté et de légitimité. Il ne s’agit pas de créer des comités inutiles, mais de mettre en place une structure simple qui aide à décider plus vite et mieux. Cela passe par :
La clarification des rôles entre les membres de la famille et les collaborateurs
L’ouverture à des avis extérieurs, même ponctuels (mentor, expert, conseiller)
Le suivi régulier d’indicateurs de performance qui ont du sens (chiffres, climat social, environnement)
Un dirigeant qui assume de partager ses responsabilités devient plus crédible auprès de ses équipes… et plus rassurant pour un partenaire financier.
L’ESG (Environnement, Social, Gouvernance) n’est plus un luxe, ni un choix facultatif. Pour les PME qui dépendent de chaînes de valeur internationales – textiles, agroalimentaire, composants industriels, IT ou services externalisés – l’ESG devient une condition d’accès aux donneurs d’ordre et aux marchés export.
Les grands groupes, souvent soumis à des réglementations strictes (comme la Corporate Sustainability Reporting Directive – CSRD en Europe), exigent de leurs sous-traitants et partenaires qu’ils démontrent un minimum de conformité ESG. Du côté des USA, des normes comme SASB (Sustainability Accounting Standards Board) ou les pratiques de « supplier onboarding » ESG deviennent des standards implicites.
C’est ce qu’on appelle la "transparence étendue". Elle peut être une chance pour les PME familiales de se démarquer, d’ouvrir de nouveaux marchés, et d’accéder à des financements alternatifs.
Vous n’avez pas besoin de devenir parfait ! Il suffit de choisir quelques engagements cohérents avec l’activité, et de montrer que vous avancez, commencez par quelques actions :
Sur le plan environnemental :
Tri et valorisation des déchets
Optimisation énergétique
Réduction de la consommation d’eau
Mobilité décarbonée
Produits et emballages durables
Sur le plan social :
Plan de formation semestriel sur le numérique, la gestion de projet et l’ESG
Partenariat avec un institut régional pour former de nouveaux profils (stages, alternance)
Objectif chiffré de recrutement de femmes dans n % des postes de direction d’ici 18 mois
Journée annuelle de volontariat dans une ONG ou une école locale
Soutien financier ou matériel à un projet communautaire (ex. restauration de site historique)
Sur le plan de la gouvernance :
Politique et comité ESG
Rédaction d’une charte ESG simplifiée (2 pages) validée par la direction
Point ESG mensuel de 15 minutes
Cartographie et gestion des risques
Atelier d’1 heure pour identifier les 5 risques ESG majeurs (environnement, social, corruption…)
Mise à jour semestrielle du registre des risques et plan de mitigation
Code de conduite et déontologie
Les investisseurs publics et privés (y compris les ONG et les organismes multilatéraux) recherchent aujourd’hui des entreprises engagées, pas forcément exemplaires, mais sincères et structurées.
Digitaliser son entreprise ne veut pas dire adopter un outil logiciel coûteuse du jour au lendemain ( ERP, ... ) Il s’agit plutôt de commencer là où ça fait gagner du temps et de la fiabilité.
Un bon point de départ consiste à centraliser les données essentielles (ventes, charges, factures..) dans un outil accessible. Puis, tester une automatisation sur une tâche répétitive (ex : édition des devis, gestion des relances). Si le gain est réel, on peut alors élargir à d’autres processus.
Ce type de démarche progressive, visible et mesurable, est aussi un excellent signal envoyé à un financeur. Il montre que l’entreprise sait investir avec discernement, et construire sa maturité digitale pas à pas.
Le financement est souvent vu comme une impasse pour les PME. Pourtant, des solutions existent, bien au-delà des banques traditionnelles, à condition d’avoir une gestion lisible et une vision à partager. Voici quelques alternatives de plus en plus utilisées :
Mécanisme |
Avantage |
Prérequis |
Crowdlending |
Rapidité, pas de dilution de capital |
Pitch solide, historiques financiers |
Equity crowdfunding |
Visibilité, engagement de la communauté |
Storytelling impactant, transparence ESG |
Fonds à impact |
Subventions, cofinancements publics |
Plan d’impact précis, suivi rigoureux |
Blended finance |
Partage des risques public/privé |
Convention structurée, gouvernance solide |
Obligations durables |
Taux indexés sur KPI ESG |
Chartes, audit externe |
Revenue-based financing |
Remboursement aligné sur le CA |
Revenus récurrents, prévisions robustes |
Établissez votre dossier de financement avec un storytelling centré sur l’impact.
Ces solutions nécessitent un minimum de préparation, mais deviennent accessibles dès lors qu’un cap stratégique clair est posé.
Voici une feuille de route réaliste que toute PME peut adapter :
Étape |
Objectif |
Action clé |
1. Diagnostic |
Savoir où on en est |
Observer ses pratiques de gestion, d’impact, de numérique |
2. Structuration |
Clarifier les responsabilités |
Mettre en place une réunion mensuelle et un tableau de bord |
3. Digitalisation utile |
Gagner en fiabilité |
Centraliser les données, tester un outil |
4. Engagement ESG |
Se distinguer |
Choisir 3 engagements clairs, communiquer dessus |
5. Communication |
Donner confiance |
Créer un support simple : fiche projet, mini-rapport ESG |
6. Financement alternatif |
Trouver de nouveaux moyens |
Identifier 1 ou 2 pistes adaptées, se faire accompagner |
La plupart des PME familiales ont tout pour réussir : des racines solides, un réseau fidèle, une capacité d’adaptation impressionnante. Mais ce qui manque souvent, c’est une structuration légère et un accès clair aux leviers du changement.
Il ne s’agit pas de tout bouleverser. Il s’agit de passer d’une logique de gestion quotidienne à une culture de pilotage, capable d’ouvrir des portes : celles des investisseurs, des marchés étrangers, ou simplement d’un futur plus serein.
En choisissant de gouverner avec agilité, de s’outiller intelligemment, et d’intégrer des engagements simples mais sincères, les PME peuvent aller loin, sans renier ce qui fait leur force.